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« La pente naturelle de la machine consiste à rendre impossible toute vie humaine authentique » (Orwell)

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Source de l'article de presse
Auteur de l'article de presse: 
Mathieu Léonard, illustré par Plonk et Replonk
Date de publication: 
Jeudi, 10 Avril, 2014
paru dans CQFD n°119 (février 2014), rubrique Le dossier, par Mathieu Léonard, illustré par Plonk et Replonk mis en ligne le 10/04/2014

Osez critiquer publiquement la technologie et vous vous retrouverez qualifié d’obscurantiste, de nostalgique de la bougie et de l’âge des cavernes, d’antihumaniste, voire de pétainiste nostalgique du « retour à la terre ». Le philosophe Günter Anders prédisait « une mort intellectuelle, sociale ou médiatique » à ceux qui encourent ce risque. Or force est de constater que la technocratie qui règne sur le monde, dédiée intégralement à l’efficacité, a effectivement à voir avec un processus de domination totalitaire auquel l’homme est sans cesse condamné à s’adapter. Dans un ouvrage synthétique, intitulé Technocritiques, Du refus des machines à la contestation des technosciences (éditions La Découverte, 2014), l’historien François Jarrige retrace le fil politique des oppositions sociales et intellectuelles aux changements techniques.

On y croise luddites et paysans réfractaires, mais aussi un Rousseau qui refuse de croire en la libération du travail par la technique et propose de « proscrire avec soin toute machine qui peut abréger le travail  » ; un Charles Fourier, annonciateur du dérèglement climatique ; un Gandhi lecteur de William Morris, John Ruskin et Tolstoï ; et aussi Jacques Ellul, les penseurs de la décroissance ou encore nos camarades de Pièces et main-d’œuvre (PMO).

Discussion avec l’auteur autour de ces résistances qui refusent d’abdiquer face à la captation du futur par la technique.

CQFD : Qu’est-ce qui t’a porté vers cet objet de recherche ?

JPEG François Jarrige : La question des oppositions et des résistances aux changements techniques m’intéresse depuis longtemps. Ma thèse de doctorat portait sur les ouvriers briseurs de machines au début du XIXe siècle. Comme tout objet de recherche, le sujet du livre est au carrefour de plusieurs influences scientifiques, universitaires ou plus personnelles. J’appartiens à une génération née en même temps que le nouveau milieu technique qui émerge à partir des années 1970 – modelé par l’informatique et les biotechnologies – or la rapidité du processus et la prolifération des discours enthousiastes ne cessent de m’intriguer.

D’un point de vue historiographique, je me place sous la tutelle de l’historien Edward P. Thompson, c’est-à-dire celle d’une histoire sociale « par en bas », qui se veut compréhensive à l’égard des acteurs, qui essaye d’aller au-delà de ce que Thompson appelait la « condescendance de la postérité » – ce mépris que nous, qui pensons être au sommet de l’évolution, portons sur les acteurs du passé. C’est aussi en m’intéressant aux travaux des socio-anthropologues des techniques, comme Alain Gras, que j’ai commencé à réfléchir à la façon dont les sociétés passées pensaient leur rapport aux techniques. Les historiens, de manière générale, se désintéressent de ce domaine, parce qu’il pèse dessus la méfiance associée au « déterminisme technique », qui voudrait ramener toute explication de la société à la technique qui dominerait tout. Or, je pense qu’on ne peut pas la mettre de côté, car elle façonne, sans le déterminer entièrement, le champ des possibles de nos actions, de notre rapport au monde.

Ta mise en perspective du rapport à la technique nous fait saisir l’ancienneté du débat philosophique : l’homme se sert-il de la machine ou sert-il la machine ?

Je crois qu’il y a un problème dans le discours philosophique sur la technique, c’est qu’il en fait une abstraction, détachée des rapports sociaux, beaucoup de penseurs ont élaboré une ontologie de la technique en lien avec une réflexion sur la nature de l’homme. Dans mon livre, j’ai plutôt essayé de relier les discours et actions critiques à leur époque. Le rôle qu’on accorde à la technique, comme le langage pour désigner ce qu’on appelle aujourd’hui technique, ne sont pas des invariants historiques. Ainsi le terme « technique » comme catégorie abstraite, tel qu’on l’entend aujourd’hui, n’émerge qu’au XVIIIe siècle. Étymologiquement, la technique désigne l’art et « l’habileté à faire quelque chose », mais ce n’est qu’au XIXe siècle qu’apparaissent réellement les significations actuelles associant la technique à l’activité productive et à la manipulation de l’environnement. Les termes « machine » et « machinisme » envahissent le discours au XIXe siècle. Après 1945, la notion de machine ne suffit plus pour désigner la prolifération des objets et des produits industriels, donc on a forgé le néologisme « technoscience », c’est-à-dire un nouveau stade de la technique, qui ferait alliance avec les dispositifs de la science, des laboratoires et de l’industrie. Donc, je ne me situe pas dans une dialectique générale d’opposition pure entre l’homme et la machine. Même chez Ellul, ce qui est contesté en premier lieu, c’est la technique moderne, fabriquée par le grand capitalisme et sa sacralisation. J’essaie de décrire comment des acteurs sociaux, paysans ou ouvriers, et des intellectuels ont protesté contre des trajectoires techniques, parce qu’ils y voyaient d’abord des formes d’exploitation, d’inégalités, de remises en cause de leur mode de vie, de dangers pour l’environnement.Lire la suite

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