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L’énergie pour quoi et pour qui? Entretien avec le MAB (Mouvement des Affectés par les Barrages, Brésil)

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Source de l'article de presse
Auteur de l'article de presse: 
Propos recueillis par Anna Bednik et Jérémy Dotti
Date de publication: 
Dimanche, 1 Mai, 2011

MABMABLe Brésil a le troisième plus haut potentiel de production d’énergie hydraulique au monde (10% du potentiel mondial) [1]. 30,9%  « seulement » de ce potentiel est exploité actuellement. La construction de plus de 400 barrages hydroélectriques existants (dont 156 grands) a déjà expulsé plus d’un million de personnes de leurs terres et de leurs maisons. Il est prévu de construire 90 nouvelles centrales hydroélectriques d’ici 2016, pour une capacité de production de 36 834 MW . Le Plan National de l’Energie prévoit une production d’hydroélectricité de 94 700 MW à l’horizon de 2030. Le Mouvement des Affectés par les Barrages (MAB), défend les droits des familles expulsées ou menacées, tout en posant la question du modèle de société. Nous avons rencontré Daiane et Rogério Hohn, responsables de la coordination du MAB de l’Etat du Pará, et Moises da Costa Ribeiro, responsable du MAB à Altamira, à Marabá (Pará), en juillet 2010. 

Pourquoi s’opposer aux barrages ? A qui profite de l’énergie générée ?

Au Brésil, 90 % de l’énergie produite est d’origine hydraulique. Nous ne sommes pas contre cette source d’énergie en soit, mais les barrages déjà construits seraient largement suffisants pour couvrir les besoins de la population. Le problème c’est qu’il y a de grands intérêts économiques derrière la construction des barrages et la vente de l’énergie. C’est pour cela que nous demandons : « l’énergie pour quoi et pour qui ? ». Et la réponse est qu’elle n’est pas pour le peuple.

D’énormes quantités d’énergie électrique sont produites pour alimenter « les grands consommateurs », l’industrie « électro-intensive » : industrie de cellulose, d’aluminium, de fer, d’acier et les grands supermarchés. Aujourd’hui, les 665 grands consommateurs (entreprises) consomment à eux seuls 30% de toute l’énergie électrique produite qu’ils payent au prix de revient alors qu’elle est vendue à la population au prix fort : 5ème majeur tarif dans le monde, pour une énergie dont le coût de production est des plus bas ! Les entreprises minières et métallurgiques comme Vale do Rio Doce et ALCOA, qui ont passé avec le gouvernement des contrats d’achat d’électricité sur 20 ans, payent le KWh 4 centimes de real, alors que le prix est de 50 centimes pour la population.

La construction des barrages est subordonnée aux grands intérêts économiques. Ce n’est plus le gouvernement qui l’impulse, mais les grandes entreprises minières (dont Vale do Rio Doce) et métallurgiques, les entreprises d’énergie, de construction et d’équipement, les grandes banques (comme la BNDES) et les fonds de pension, l’agro-industrie. Ce sont eux qui contrôlent le secteur de l’énergie.

Pour ces groupes économiques, c’est un busines très rentable, tout autant la construction des barrages - la vente des matières premières et des équipements, les grands travaux bénéficiant des financements publics - que la vente de l’énergie au prix fort, alors que le gouvernement subventionne l’industrie. L’emprise des intérêts économiques sur l’Etat et sur les politiques est très forte. 46 députés fédéraux, 10 % de la Chambre des députés, sont par exemple directement financés par Vale do Rio Doce.

L’Amazonie est aujourd’hui en ligne de mire des grands barrages ?

Près de 70% du potentiel estimé de production d’énergie hydraulique en Amazonie n’a pas été exploré (alors que 64% du potentiel national se trouve dans la région Nord !). Les regards des grandes entreprises et de l’Etat se tournent vers l’Amazonie et ses richesses - eau, minerais, bois, etc. – pour faire de la sorte que la région fournisse les matières premières et l’énergie aux « grands consommateurs » des autres régions du pays et de l’Amérique du Sud.

Il y a plus de 300 projets de barrages en Amazonie brésilienne, pensés dans le cadre de l’IIRSA . Certains ont déjà été construits. L’IIRSA met en œuvre l’interconnexion des réseaux électriques entre les différents pays. Il y a des projets qui proposent même d’acheminer l’énergie jusqu’aux Etats-Unis. 18% de l’énergie électrique produite dans le Pará et acheminée à Sao Paulo est gaspillée. Le barrage de Tucuruí (Pará) alimente principalement en énergie les deux grandes entreprises minières installées dans la région, alors que les quartiers pauvres de la ville n’ont pas d’électricité. Les barrages sur le rio Madeira (Rondônia) vont fournir en énergie São Paulo et Río de Janeiro, là où sont les grandes industries. Pour ce qui est du projet de barrage de Belo Monte (Pará), l’énergie produite (capacité estimée de 11 000 KW) ira aux projets miniers, notamment à ALCOA, et sera aussi exportée au Venezuela, tout comme est exportée l’énergie à travers l’industrie minière. A Marabá, il y a un projet d’installation d’une usine sidérurgique, et cette usine va consommer plus d’énergie que toute la région. Un autre effet de ces projets c’est la privatisation de l’eau et des territoires.

Quels sont les impacts sociaux?

70% des familles ne reçoivent aucune indemnisation, se retrouvent sans terre et sans maison et s’en vont grossir les favelas des grandes villes. Les barrages provoquent des conflits importants, car les promesses du gouvernement et des entreprises ne sont pas tenues, beaucoup d’exemples le prouvent. A Tucuruí (Pará), plus de 30 000 personnes ont été expulsées sans rien avoir reçu en échange. Les grands barrages construits près des villes de taille moyenne les transforment complètement et augmentent la pauvreté. A Altamira, il y a aujourd’hui 90 000 habitants et il est prévu que plus que 100 000 personnes viennent à la recherche d’un emploi pendant les grands travaux. A Tucuruí, il y a maintenant beaucoup plus de favelas qu’avant. Le Brésil est donné en exemple, c’est un pays riche, mais le peuple ne l’est pas. La demande de l’énergie (notamment celle de l’industrie) ne cesse de croître et nous allons souffrir des impacts de plus en plus grands.

Comment est né le mouvement ? Comment est-il organisé ?

Le MAB est le résultat d’une rencontre entre le syndicalisme et l’Eglise catholique, unis face aux projets de grands barrages (Tucuruí, Itaipú, Itaparica, etc.) pour défendre les agriculteurs chassés de leurs terres par les entreprises publiques durant la dictature militaire. Le mouvement naît dans un contexte de droits bafoués, d’impacts sociaux très forts et où l’idée centrale était que l’industrialisation du pays avait besoin d’énergie.

La formation et l’organisation du MAB est semblable à celle du MST (Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre). D’ailleurs, les deux mouvements étaient liés depuis le début : l’un des premiers barrages construits, Itaipú, dans le Paraná, a expulsé beaucoup d’agriculteurs qui sont restés sans terre et qui ont formé le MST. Comme mouvement national, le MAB est aussi né dans le Paraná, en 1991 (avant, il y avait des commissions régionales).

Aujourd’hui, le MAB est présent dans 17 Etats du pays. Nous sommes organisés depuis la base (groupes de familles), puis à travers des coordinations locales, au niveau des Etats et au niveau national. Nous pensons que la construction d’un mouvement national est indispensable et qu’il doit s’articuler avec d’autres mouvements au niveau international. Il y a déjà eu plusieurs rencontres internationales d’articulation des populations affectées par les barrages (au Mexique, en Colombie, au Venezuela, en Bolivie). Avec les organisations d’autres pays, nous formons REDLAR . Et nous faisons aussi partie de Via Campesina

Quelle est l’essence de votre lutte aujourd’hui ?

Nous sommes à la fois un mouvement syndical  (nous luttons non seulement contre la construction des barrages, mais aussi pour les droits des familles, comme le droit à l’école, à la santé, etc.), un mouvement environnemental et un mouvement “de masses” (réunissant un grand nombre de personnes). Nous réclamons aussi la réduction des tarifs de l’énergie. Nous cherchons à générer un débat social et environnemental mais aussi à comprendre le contexte. Dans les années 70, sous la dictature militaire, il paraissait naturel que les questions sociales et environnementales n’étaient pas prises en compte. Mais aujourd’hui, la construction des barrages suit la même logique.

Des alternatives existent. Par exemple, la re-potentialisation des vielles centrales, qui n’est pas faite, car elle n’est pas “intéressante” pour l’investissement, elle ne permet pas de vendre du fer et du ciment, des turbines, etc., car ce qui prime, c’est la logique du profit. C’est pour cela que nous pensons que l’organisation populaire doit non seulement chercher à répondre aux questions locales, mais aussi générer un débat autour du modèle de développement et de société, car c’est le principal problème. Nous menons une lutte depuis les bases mais aussi nationale et internationale, pour en finir avec la logique du capital et construire des alternatives dans le respect de la diversité des cultures.

Propos recueillis par Anna Bednik et Jérémy Dotti, FAL et Collectif ALDEAH. Publié dans le FAL MAG 104 "Oser affronter l'extractivisme", printemps 2011

[1] MAB, 2008

Plus d'information, textes et vidéos du MAB :  Energie pour quoi et pour qui (2013)Dictature contre populations affectées (2004), Souveraineté énergétique (2008) 

Mises à jour : 

- 80% de l'énergie produite d'origine hydraulique (MAB 2013)

- 6 ème majeur tarif de l'électricité  (MAB 2013)

- prix payé par Vale do Rio Doce et ALCOA  : 3 centimes de real le KWh, contre 45 centimes pour la population (Brasil do Fato 2013)

 

 

 

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