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Dette et surexploitation des ressources naturelles


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Dette et surexploitation des ressources naturelles
En Amérique latine, le surendettement et les programmes d'ajustement structurel, imposés dans le cadre de la renégociation de la dette, sont en grande partie responsables de la généralisation du modèle de « développement » par les exportations et de la surexploitation des ressources naturelles qui en découle. Voici, en bref, les grandes lignes de ce processus.
les pays exportateurs, engrangeant des bénéfices considérables, à réaliser des dépôts massifs de «pétrodollars» dans des banques des pays industrialisés. A la recherche d'investissements pour ces nouvelles sommes d’argent disponible – nonconvertible en or à partir de 1971 - les banques offrent aux pays en développement, dont ceux d'Amérique latine, des crédits à des taux très bas. De nombreux crédits sont alors contractés par des entreprises et banques latino-américaines (ou filiales des sociétés occidentales). Par des tours de passe-passe, la plupart de ces dettes privées seront «étatisées» dans les années 1980-19904 et font aujourd'hui partie de la dette publique. Les Etats du Nord sont, pour leur part, en quête des débouchés à leurs exportations, ralenties par les chocs pétroliers, et octroient aux pays en développement des prêts conditionnés à l'achat de produits du Nord et des crédits aux exportations5. Enfin, les Etats-Unis vont chercher, par l'intermédiaire de la Banque mondiale6, à contrecarrer l'influence soviétique en accordant des prêts à leurs alliés stratégiques7. Sur le sous-
Glossaire
Eurodollars
Dépôts en dollars dans des banques établies hors des États-Unis.
Pétrodollars
Revenus issus du pétrole. Après la flambée des prix du pétrole dans les années 1970, les pays pétroliers effectuent des dépôts massifs de dollars dans des banques occidentales, leur permettant d’accroitre leur offre de prêts destinés aux pays en développement.
Mis à part les élites dirigeantes complices, quatre types d'acteurs sont à l'origine de l'endettement massif qui aboutit à la quatrième crise de la dette en Amérique latine (1982 à nos jours)1 : les banques, les Etats du Nord, les institutions financières internationales (IFI)2, et, plus tard, les investisseurs privés intervenant par le biais du marché financier.
Dollars en abondance
Banque Mondiale
L’une des instituions spécialisées des Nations Unies, la Banque mondiale est composée de cinq organismes et rassemble 185 pays membres. Elle fut créée en 1944 à Bretton Woods et avait pour objectif initial de soutenir la reconstruction de l’Europe de l’après-guerre (via la BIRD -Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement). A partir des années 1960 et la création de l'Association internationale de
développement (AID), son objectif
Dès les années 1960, suite au plan Marshall et l'investissement massif des Etats-Unis dans l'économie européenne3, les banques occidentales accumulent de grandes quantités d'«eurodollars». Puis, l'augmentation du prix de pétrole dans les années 1970 (suite aux «chocs» pétroliers de 1973 et de 1978) conduit
déclaré est de « réduire la pauvreté », notamment par le biais d’octroi à des pays en développement de prêts conditionnés.
FMI
Crée en 1944 afin de garantir le bon fonctionnement du système monétaire de Bretton Woods, le Fonds monétaire international regroupe 185 pays membres. Depuis 1976, ses principales missions sont l’octroi de prêts conditionnés (par l’application de
politiques d’ajustement structurel) et l’assistance technique à des pays en difficulté et le conseil
1 En deux siècles, les économies d'Amérique latine ont été frappées par quatre crises de la dette : de 1826 jusqu'à la moitié du XIXe siècle, de 1876 jusqu'au début du XXe siècle, de 1931 jusqu'à la fin des années 1940. La quatrième, qui éclate en 1982 est toujours en cours. Lire Eric Toussaint, «De crise en crise», le Monde diplomatique, février 2002. 2 58 % des créanciers des pays en développement sont des banques, 22 % des institutions multilatérales et 20 % des autres Etats. «A qui profite la dette ?», Les renseignements généreux, octobre 2006. 3 Les dépôts en dollars réalisés en Europe par les Soviétiques et les Chinois contribuent également à augmenter la masse de dollars circulant à l'étranger. Lire Gary Burn, «La naissance des eurodollars», Alternatives Economiques N°182, juin 2000
4 Pour l'étatisation de la dette argentine, voir le film de Fernando Solanas «Memoria del saqueo » (2004) 5 Voir Eurodad 6 Les Etats-Unis sont le principal actionnaire de la BM en en possèdent 17% des droits de vote 7 Voir Comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM), «La dette du Tiers Monde ?»
aux Etats membres en matière de politique économique.
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continent, la majorité des pays est alors dirigée par des dictatures.
Les pays endettés cherchent alors à renégocier la dette avec leurs créanciers, afin de rééchelonner les Les crédits pleuvent. Entre 1970 et 1980, la remboursements dans le temps, mais dette de l'Amérique latine est passée de 27 aussi d'obtenir de nouveaux crédits milliards à 231 000 milliards de dollars8. Afin pour pouvoir continuer à rembourser. de générer les devises nécessaires au La principale condition exigée par les remboursement, les pays emprunteurs banques privées, regroupés au sein du donnent la priorité à la modernisation des club de Londres, et par les Etats du (Club de Paris) sera filières d'extraction des ressources naturelles Nord (minerais, pétrole, gaz, etc.) et de l'agriculture l'établissement d'un accord entre le de rente (café, cacao, arachide, sucre, etc.). pays endetté et le Fonds Monétaire Tant que les taux sont bas, la dette contractée International (FMI). Le pays endetté est alors dans l'obligation de se soumettre reste soutenable. à des programmes d'ajustement structurel (PAS) devant permettre de Consensus de Washington rééquilibrer sa balance de paiements. A En 1979, pour lutter contre l'inflation et la crise leur tour, le FMI et la Banque Mondiale économique aux Etats-Unis, la Réserve conditionnent leur aide financière par l'adoption de ces Fédérale américaine programmes. Evolution des taux d’intérêt relève les taux d'intérêt dans le but en Amérique latine Ainsi, à partir des Année Taux d’intérêt d'attirer les capitaux. réels années 1980, les Les autres pays (moyenne) pays d'Amérique occidentaux 1970-1980 -3,40% latine deviennent s'alignent, et les taux 1981 19,90% le terrain d'intérêt des prêts 1982 27,50% d'expérimentation accordés aux pays en 1983 17,40% privilégié des développement, en politiques grande majorité Source: Edwards Sebastian, néolibérales qui Crisis and Reform in Latin variables, America, World Bank, recevront plus tard augmentent Washington, 1995, p.35 le nom de également. «consensus de Washington». Dans les années 1980, les balances Œuvrant au des paiements des pays les moins industrialisés, qui doivent en développement d'un marché de plus en même temps faire face à la baisse des cours plus globalisé, elles y seront appliquées des matières premières et des produits avec beaucoup plus de zèle que dans agricoles9, se déséquilibrent rapidement, ces les pays riches de l'OCDE, où pays nécessitant de nouveaux crédits pour l'intervention de l'Etat n'est pas honorer le service de la dette. Le point complètement proscrite, et peut culminant de la crise sera atteint en 1982, continuer à défendre certains secteurs menacés par la lorsque le Mexique d'abord, suivi par d'autres économiques concurrence, à l'instar du secteur pays, déclare l'impossibilité de continuer les agricole. remboursements. A partir de 1982, les systèmes économiques locaux vont connaître un revirement radical. En effet, après la dépression des années 1930 les pays latino-américains avaient pris de la distance avec le marché international et ont mis en place des politiques industrielles, basées sur le principe de
Glossaire
Consensus de Washington
L’expression de l’économiste John Williamson (1989) pour
désigner les mesures
recommandées aux économies en difficulté, et en particulier à celles d'Amérique latine, par les IFI ayant leur siège à Washington DC : Banque mondiale et FMI, soutenus, en la matière, par le Département du Trésor américain.
Club de Paris
Un groupe informel de créanciers publics (19 pays développés en sont membres permanents) formé en 1956. C’est au sein de ce groupe que se négocient des accords de rééchelonnement de la dette bilatérale.
Club de Londres
Un groupe informel de banques commerciales, formé dans les années 1970 sur le modèle du Club de Paris.
Contrôle des changes
Politique monétaire qui soumet à une régulation totale ou partielle les opérations de paiement avec l'étranger.
Industrialisation par substitution aux importations (Modèle ISI)
Modèle de développement dominant en Amérique latine entre les années 1930 et les années 1970, basé sur la logique de protection de l’industrie naissante domestique par la mise en place de barrières douanières temporaires.
Dette extérieure
L'ensemble des dettes d’un pays (État, entreprises et particuliers) auprès des créanciers étrangers.
8 Voir: SEDNA, "La deuda externa argentina" 9 Due notamment à la baisse de la demande des pays
occidentaux, en crise, et à l'augmentation de la productivité dans les pays du Sud (obtenue notamment grâce à la dette !) qui entraîne une situation de surproduction.
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Evolution de la dette en Amérique
substitution aux importations, l'orientation vers le marché intérieur et l'interventionnisme de l'Etat. Les politiques promues par les
recette unique de prétendue validité universelle, composée de politiques de «stabilisation» et de politiques «structurelles».
latine (en millions de dollars) :
800 000,0 700 000,0 600 000,0 500 000,0
La Bourse de la dette
A partir de 1983, en créant une "bourse de la dette", les banques vont convertir leurs créances sur les PED en «titres de la dette», échangés désormais à un « prix du marché ». Rapidement toutefois, les banques sont prises au piège : la plupart de ces créances étant alors considérées comme douteuses, leur offre augmente rapidement et leurs prix baissent, certains de ces « titres » perdant entre 30 et 70% de leur valeur. S’opposant au remboursement de la dette par les pays emprunteurs à la hauteur de cette «valeur du marché», à partir de 1987, les banques vont convertir leurs créances en investissements, en échangeant une partie des remboursements de la dette contre des prises de participation dans l’économie des pays débiteurs. Ces derniers vont ainsi céder à l’Occident de larges secteurs de leurs industries nationales à des prix souvent dérisoires.
Lire Arnaud Zacharie (CADTM Belgique), « L’évolution des flux de capitaux vers les pays émergents », dans Nouvelles dettes, nouvelles crises, nouveaux mécanismes : Propositions du FMI et alternatives, AITEC, mars 2003
Les mesures de 400 000,0 300 000,0 «stabilisation» agissent 200 000,0 sur la demande, en 100 000,0 corrigeant le déficit des 0,0 dépenses publiques jugé excessif. Le retour à «l'équilibre» est dès lors Argentine obtenu par une politique de réduction de la demande (qui «ajuste» la consommation interne à la capacité de production du pays). Sont ainsi abandonnées les subventions aux produits et services de première nécessité, et les budgets sociaux «nonproductifs» (santé, éducation) sont diminués de façon drastique. Les mesures «structurelles» cherchent à adapter les conditions de l'offre de l'économie, en favorisant le «libre jeu du marché» et en laissant à l'initiative privée le soin de s'assigner les ressources qui lui offrent les meilleures perspectives des bénéfices. Il s'agit de libéraliser l'économie, l'ouvrir à l'extérieur et diminuer la pression du secteur public, tout en «modernisant» le système financier (abandon du contrôle des mouvements des capitaux et suppression du contrôle des changes). L'aggravation des inégalités, la dégradation des conditions de vie des plus vulnérables et la détérioration de l'accès à l'éducation et la santé sont alors considérées comme des sacrifices inévitables sur l'autel de la stabilité future : elles doivent, théoriquement, être récompensées à terme par une croissance plus forte et une économie plus «saine».
Brésil
Mexique
Amérique latine et Caraibes
Glossaire
Dette multilatérale
Dette d’un pays envers les institutions financières internationales (la Banque mondiale, FMI, banques de développement régionales, etc.).
Dette bilatérale
Dette contractée auprès d’un autre Etat (notamment auprès des agences de crédit à l'exportation).
Dette privée
Emprunts contractés par des agents privés (quel que soit le prêteur).
institutions financières internationales (IFI) vont accomplir leur «réinsertion» par l'ouverture unilatérale des marchés, la course à la privatisation des entreprises publiques, la déréglementation et la libéralisation des activités économiques et une profonde réforme de l'Etat10.
Dette publique
L’ensemble des emprunts contractés par des agents publics (Etat, collectivités publiques et organismes qui en dépendent). On distingue la dette publique intérieure (détenue par les agents économiques résidant à l’intérieur de l’Etat emprunteur) et la dette publique extérieure (détenue par des créanciers étrangers).
«Stabilisation» et «ajustement structurel»
Sans prendre en compte les contextes locaux, les programmes d'ajustement appliquent une
10 Lire Sebastian Santander, « Aux origines de la
globalisation ». Dans : Globalisation et néolibéralisme dans le Tiers-monde, sous la direction de Firouzeh Nahavandi,. Institut de sociologie ULB. L'Harmattan, Paris, 2000.
Service de la dette
Remboursements des intérêts et l’amortissement (remboursement) du capital
emprunté.
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Financiarisation de la dette
Mais au-delà de l'hypothétique avenir meilleur, les programmes d'ajustement structurel cherchent avant tout à générer des excédents de devises nécessaires pour continuer à honorer le service de la dette : la politique de contraction de la demande contribue à réduire les importations et la réorientation de la production vers les exportations (des matières premières et produits agricoles) vise à obtenir une balance commerciale excédentaire. L'application des PAS s'accompagne des négociations portant sur les plans «d'échange » de la dette qui accélèrent d'autant les privatisations des industries nationales, souvent vendues pour une bouchée de pain avec la complicité des dirigeants locaux corrompus11.
Après la « décennie perdue » des années 1980, à partir de 1990 et 1995, les capitaux privés étrangers affluent de nouveau en Amérique latine par le biais d’achat de titres financiers et d’investissements directs (IDE). Le marché des capitaux, se substituant aux prêts bancaires, modifie la nature des capitaux privés qui forment la dette, et élargit considérablement le nombre créanciers. En 1995, la vente massive des titres par les investisseurs désirant rapatrier leurs bénéfices fait chuter les cours, et la bulle financière éclate. Les capitaux fuient et précipitent les pays du Sud dans une nouvelle crise, qui amène à son tour de nouveaux prêts accordés pour éviter la banqueroute (comme les 50 milliards de dollars prêtés au Mexique par le Trésor américain et le FMI en 1995, 30 milliards au Brésil par le FMI en 2002). Lire Arnaud Zacharie
(CADTM), op. cit.
Principales crises financières latino-américaines 1982 (Août) : Le Mexique se déclare en cessation de paiements. La crise financière s’étend rapidement à toute l’Amérique latine et aux Caraïbes. 1994 (Décembre) – 1995 : Nouvelle crise financière au Mexique. Allocation de crédits d’urgence des bailleurs de fond internationaux sous condition de renforcement des plans d’austérité. 1999 (Janvier) : Crise financière au Brésil. Les pays voisins, dont l’Argentine (premier partenaire commercial du Brésil), sont rapidement touchés. 2001 (Décembre) : Le refus du FMI de l’aide d’urgence de 1,2 milliard de dollars à l’Argentine (l’objectif budgétaire qu’il lui avait fixé n’ayant pas été atteint) entraine la fuite des capitaux et la crise du système bancaire, qui provoquent à leur tour un «effet domino » touchant le Brésil (2002) et les autres pays latino-américains. 1982 (Août). Le Mexique se déclare en cessation de paiement. La crise financière s’étend rapidement à toute l’Amérique latine et aux Caraïbes. Plan Brady En 1989, le secrétaire états-unien aux finances, Nicholas Brady, propose un plan consistant à remplacer les créances douteuses par de nouveaux emprunts obligataires (Brady’s bonds), garantis par le Trésor américain et valorisés en prenant partiellement en compte la décote des créances sur le marché des titres de la dette (voir « Bourse de la dette »). Pour bénéficier de cette décote partielle, les pays emprunteurs doivent faire un prêt aux Etats-Unis : c’est le remboursement de ce prêt qui garantira aux banques le remboursement du Brady’s bond par le pays endetté. Plusieurs pays latino-américains bénéficieront de ce plan (Mexique, Venezuela, Costa Rica, Argentine), mais le poids de la dette ne sera allégé qu’entre 10 et 20% en moyenne (sauf pour le Costa Rica). Programme des « pays pauvres très endettés » (PPTE) Dans le cadre de ce programme, lancé par la Banque mondiale et le FMI en 1996, il fut décidé, en juin 2005, d’effacer les dettes contractées auprès de ces deux organismes (ainsi que de la Banque africaine de développement) par 18 pays répondant aux critères de définition d’un « pays pauvre très endetté ». Le montant total de la dette effacée s’élève à 40 milliards de dollars. En Amérique latine, seuls la Bolivie, le Nicaragua et le Honduras sont concernés par ce dispositif (la Guyana s’est retirée du programme en 2007) et ont du se soumettre aux nouvelles conditions des IFI (notamment application des programmes d’ajustement structurel et lutte contre la corruption).
Chiffres de la dette latinoaméricaine
Dette extérieure de l’Amérique latine et des Caraïbes en 2006 : 656 milliards de dollars selon les données de CEPAL (Anuario Estadístico de América latina y el Caribe 2007) 742 milliards de dollars selon le FMI (World Economic Outlook, septembre 2006) Le service de la dette en 2004 : 121 milliards de dollars (Les chiffres de la dette 2005, CADTM).
Ré-primarisation des économies et surexploitation des ressources
Alors que les privatisations massives soustraient aux Etats le contrôle des secteurs industriels stratégiques, les besoins en devises et les mesures mises en place sous l'impulsion des IFI orientent les économies locales vers
11 Voir notamment le démantèlement des industries argentines par les gouvernements de Alfonsin (vente de YPF), puis de Menem : «Memoria del saqueo », op.cit.
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l'intensification des exportations de produits de base. La majorité des pays latinoaméricains connaissent alors une tendance à la « ré-primarisation »12 de leurs économies, et même ceux qui, à l'instar du Chili ou du Brésil, ont su garder ou développer une structure industrielle solide, continuent à dépendre fortement des exportations issues du secteur primaire13. S'exportent ainsi, en quantités croissantes, pétrole (Mexique, Venezuela, Equateur), gaz (Bolivie), charbon (Colombie), minerais (Pérou, Chili, Bolivie), ressources marines (Pérou), produits agricoles tropicaux comme la banane (Equateur) ou le café (Amérique centrale, Pérou) ou fourragers comme le soja (Argentine, Brésil, Pérou, Paraguay). La croissance des volumes exportés est le principal levier de l'augmentation de la valeur des exportations de ces produits à faible valeur ajoutée. Ainsi, même si, en valeur, les exportations latino-américaines ne représentaient à la fin des années 1990 que près de 5% du commerce mondial, les volumes physiques des exportations ont augmenté de près 245% entre 1980 et 199514. Aucun indice ne mesure la quantité de ressources naturelles consommées, transformées, détruites ou déplacées pour arriver à ce niveau de production. Sols dépouillés de nutriments et érodés, nappes phréatiques asséchées, pollutions chimiques, forêts primaires et mangroves détruites, plaines et villages inondés par les grands barrages... sont autant d'«intérêts» supplémentaires non comptabilisés dans les remboursements de la dette extérieure.
La part des exportations de produits primaires (en % des exportations totales)
100,0 90,0 80,0 70,0 60,0 50,0 40,0 30,0 20,0 10,0 0,0 Argentine Bolivie Brésil Chili Colombie Equateur Pérou Venezuela Paraguay Nicaragua
Source: CEPAL, 2007
« Entre 1980 et 1995, le volume des exportations de l'Amérique latine a augmenté de 245%. Entre 1985 et 1996 ont été extraits et envoyés à l'extérieur 2706 millions de tonnes de produits de base, pour la majorité non renouvelables [...], 88% correspondant à des minerais et du pétrole. [...] Entre 1982 et 1996, en 14 ans, l'Amérique latine a payé 739,9 milliards de dollars de dette, soit plus du double de ce qu'elle devait en 1982 [...] et malgré cela, elle devait toujours 607,2 milliards ». Jacobo Schatan, "Deuda externa y
neoliberalismo: el saqueo de América Latina", Fundación CENDA, Centro de Estudios Nacionales de Desarrollo Alternativo, Santiago de Chile, 1999.
12 Même si certaines zones, comme celle de Sao Paulo au Brésil, échappent à cette tendance et exportent des produits industriels, et d'autres, comme le Nord du Mexique, se spécialisent dans des biens intermédiaires 13 La croissance chilienne est par exemple surtout tirée par les prix élevés du cuivre. Lire Rayen Quiroga, ed., "El Tigre sin Selva. Consecuencias Ambientales de la Transformación Económica de Chile", 1974-93, Instituto de Ecología Política, Santiago de Chile, 1994. Le Brésil est un important exportateur de produits agricoles 14 La faible part des exportations latino-américaines dans le commerce mondial s'explique notamment par la forte croissance des exportations asiatiques. Lire Joan Martinez Alier, "Deuda ecológica y deuda externa", encuentro La Deuda Externa y el Final del Milenio, 1997, Caracas
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Exportations des produits primaires en Amérique latine
Part des produits du secteur primaire dans les exportations totales (2006) Principaux produits d'exportation du secteur minier et pétrolier (2005-2006) Premier produit d'exportation (tous secteurs confondus) et sa part dans le total (2006)
Pays
Principaux produits d'exportation du secteur agricole et forestier (2005-2006)
Belize
95,8% 94,4%
pétrole pétrole, gaz, aluminium, fer (et acier), charbon
banane et fruits tropicaux, sucre, mollusques et crustacés
jus de fruits : 20%
Venezuela
pétrole : 70,5% café, viande bovine, mollusques et crustacés, sucre, arachide, petits pois, lentilles et haricots banane, mollusques et crustacés, fleurs, cacao, poisson soja, noix de coco, de Brésil et de cajou poisson, patte de papier, vin et raisin,
Nicaragua
91,3%
or
café : 26,6%
Equateur
90,4%
pétrole
pétrole : 54,5%
Bolivie
89,8% 89,0%
gaz, zinc, pétrole, argent, platine, or, étain cuivre, titane, vanadium, molybdène, tantalite et zircon or, cuivre, zinc, titane, vanadium, molybdène, tantalite et zircon, pétrole, plomb, argent
gaz : 39,5% cuivre (affiné et non affiné) : 56%
Chili
Pérou
88,0%
farine de viande et de poisson, café soja, viande bovine, mais, coton, blé, poisson, fruits tropicaux et banane, mollusques et crustacés, viande bovine, sucre café, mollusques et crustacés, banane, poisson, huile de palme viande bovine, riz, soja, poisson
or : 16,2%
Paraguay
84,1%
soja : 23%
Panama
80,5%
poisson : 24,4%
Honduras
70,7%
or, zinc
café : 20,8%
Uruguay
68,8% 68,4% 65,3%
(chiffres 2005)
viande bovine : 23,7% galettes et farines de semences oléagineuses: 9,6% pétrole : 19% ( chiffres 2005) café : 14,5%
Argentine
pétrole, cuivre, gaz
soja, blé, viande bovine, maïs
Colombie
pétrole, charbon, or
café, fleurs, banane café, sucre, banane, caoutchouc, noix de muscade et cardamome soja, sucre, viande bovine café, sucre
Guatemala
65,1%
pétrole
Brésil El Salvador
49,5% 43,6%
fer, pétrole
fer : 6,5% café : 9,9% valves et tubes électroniques, cellules photoélectriques, transistors: 16,9% pétrole : 13,9%
Costa Rica
35,6%
banane, fruits tropicaux, café
Mexique
24,4%
pétrole
A partir des données de CEPAL, Anuario Estadístico de América latina y el Caribe 2007
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« La nature ne croit pas au rythme de 5% par an… »
Que comprend la « dette écologique » ?
Selon Joan Martinez Alier (Deuda ecológica y deuda externa, 1997), exprimée en termes monétaires, «la dette écologique» comprendrait : Pour le compte du commerce écologiquement inégal : Les coûts de reproduction /maintien des ressources naturelles renouvelables exportés. Par exemple, le repositionnement des nutriments incorporés dans les exportations agricoles ; Les coûts actualisés de la non-disponibilité future des ressources nonrenouvelables détruites. Par exemple, l’épuisement des gisements, la biodiversité détruite…Ces grandeurs restent toutefois difficiles à évaluer ; Les coûts de réparation (non payés) des dommages produits localement par les exportations (par exemple, la contamination des eaux par le mercure pour les exportations d’or), ou, lorsqu’il n’existe pas de réparation possible, la valeur actualisée de ces dommages (appelée parfois «passifs environnementaux») Pour le défaut de paiement des services environnementaux : Coûts de réparation des conséquences des importations des résidus toxiques solides ou liquides ; La valeur correspondante aux résidus gazeux absorbés gratuitement jusqu’à aujourd’hui (principalement CO2), en partant du principe qu’il existe une structure de droits équivalente à celle des puits de carbone ; La valeur des connaissances portant sur les ressources génétiques cédées gratuitement, lorsqu’il y a eu une exploitation commerciale de ces dernières. « Il ne s’agit pas de mercantiliser la nature, mais d’utiliser le langage et les idées de la «pensée unique» du tout-économique dominante dans les centres du pouvoir du monde, pour y exposer le thème de la dette écologique, sans oublier pour autant la diversité et l’incommensurabilité des valeurs qui est l’unique fondement possible d’une économie écologique. Il existe bien entendu d’autres langages qui, au-delà de la chrématistique, peuvent et doivent être maniés par le Sud ». Joan Martinez Alier, ”Deuda ecológica y deuda externa”. Rencontre “La Deuda Externa y el Final del Milenio”, juillet 1997, Caracas.
Le rythme de production imposé par le besoin de générer des devises conduit à l'épuisement progressif des ressources naturelles et à l'extension continue des «frontières» (pétrolière, gazière, minière, agricole...) sur des superficies de plus en plus vastes des territoires nationaux en augmentant d'autant les dommages souvent non réparables pour les écosystèmes, sans même évoquer ici les conséquences sociales d'un tel modèle de «développement». Ainsi, de nombreuses voix qui s'élèvent contre l'injustice de la dette extérieure, celles des organisations militantes, d'universitaires, de juristes internationaux et de certains hommes politiques15, opposent à la dette extérieure des pays du Sud la « dette écologique » accumulée par leurs créanciers. Bien qu'elle soit difficilement quantifiable en termes monétaires, l'objectif de sa formalisation est avant tout de générer une prise de conscience du véritable prix de la dette extérieure, incluant ses coûts sociaux et environnementaux non comptabilisés, réalités d'un colonialisme économique sans scrupules.
CADTM, Quien debe a quien, entre autres; Lire notamment Joan Martinez Alier, op. cit, et Alberto Acosta "La increíble y triste historia de América Latina y su perversa deuda externa (II)", La Insignia. Ecuador, diciembre del 2002; Voir la proposition de l'Equateur pour le parc naturel de Yasuni
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