Pour de nombreux mouvements sociaux latino-américains et mondiaux, le président bolivien apparait aujourd'hui comme l'un des pionniers du combat mondial pour la protection de l'environnement, porte-parole et moteur d'un écologisme des opprimés, défenseur infatigable de la Pachamama et de la vision indigène de la nature, opposée à la conception capitaliste d'exploitation indiscriminée des ressources naturelles.
La réélection triomphale d'Evo Morales à la présidence (avec plus de 63% des suffrages) et la maîtrise par le MAS des 2/3 des sièges de la nouvelle Assemblée plurinationale ravivent les espoirs. Le président et son parti-mouvement ont maintenant carte blanche pour achever la mise en œuvre des grands projets qui les ont amené à la tête de ce pays ando-amazonien : la formation d'un Etat plurinational, les autonomies (non seulement départementales, municipales et régionales, mais aussi indigènes et paysannes), l'organisation de la société en fonction du principe du « vivre bien » et du respect de la Pachamama, si l'on s'en tient aux discours président bolivien sur la scène internationale. « La Bolivie nous offre-t-elle la clé pour commencer cette nouvelle ère de l'humanité, l'ère du vivre bien dans le non-capitalisme ?», se demande, à l'instar de beaucoup d'autres intellectuels de gauche, la chercheuse mexicaine Ana Esther Ceceña[5].
Sans tomber dans le manichéisme simpliste, qu'en est-il en réalité ? Le gouvernement bolivien est-il socialiste, indianiste, écologiste ? Pablo Stefanoni, journaliste argentin et directeur du Monde diplomatique Bolivie, commente dans une interview récente accordée au magazine en ligne « Article 11 » : « Cette sympathie progressiste [...] peut devenir presque délirante quand elle attribue au processus de changement bolivien une série d'attributs relevant du fantasme absolu. [...] Une analyse sociopolitique [...] doit au moins reposer sur des informations empiriques allant plus loin que ce que disent les acteurs eux-mêmes. À mon sens, cette approche permet de cerner le nationalisme populaire comme noyau unificateur du processus. Un nationalisme qui, s'il se présente avec un vernis plus indigène que dans les années 1950, a récupéré quasiment dans sa totalité l'imaginaire moderniste, industriel et développementaliste de la révolution nationale de 1952, en sus des axes de l'intégration ethnique et sociale, et de l'État providence »[6].
Pour juger de la pertinence de cette analyse, il suffit de consulter le programme politique du MAS-IPSP 2010-2015. Si l'application des dispositions de la nouvelle Constitution (dont l'Etat plurinational, les autonomies et les programmes sociaux) restent parmi ses pierres angulaires, ses principaux volets économiques sont le développement du secteur agricole (production locale pour une consommation avant tout locale afin d'assurer la sécurité alimentaire) et, surtout, l'exploitation des ressources naturelles : « l'objectif principal de notre Nouveau Modèle National Productif [...] est de créer les conditions pour garantir une augmentation de la production des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables afin de générer une plus forte croissance économique [...permettant de mettre en place] un processus de redistribution des revenus». Le programme parle d'un « grand bond industriel », plébiscite une Bolivie ayant retrouvé sa vocation minière, prévoit une augmentation conséquente de la production des hydrocarbures - désormais nationalisés - et projette l'interconnexion des régions boliviennes grâce aux projets routiers de l'IIRSA[7].
La volonté affichée est aussi de passer de la simple extraction des matières premières à leur transformation, afin de générer une plus forte valeur ajoutée (production de l'acier, du carbonate de lithium, etc.). Toutefois, la Bolivie reste fortement dépendante de la rente des matières premières non transformées (hydrocarbures et minerais), et l'excellent bilan économique[8] qui lui a valu les félicitations du FMI est pour beaucoup dû aux prix élevés de celles-ci.
Les principaux projets miniers publics et semi-publics sont aujourd'hui l'exploitation de l'étain de Huanuni, du fer de Mutun (avec une entreprise indienne), du cuivre de Corocoro (avec une entreprise coréenne), le complexe métallurgique de Vinto, et, enfin, l'exploitation des gigantesques réserves de lithium dans le Salar de Uyuni.
Ce dernier projet se veut exemplaire, tant du point de vue du respect de l'environnement - utilisation de l'eau salée uniquement, fabrication de piscines d'évaporation avec du sel du Salar, constructions démontables, etc. - que pour sa vocation émancipatrice : il devrait propulser la Bolivie au rang de quelques rares producteurs de carbonate de lithium, dès sa première phase, avant d'étudier la possibilité de production de lithium métallique. La technologie de production se veut 100% bolivienne, même si les grandes transnationales, telles le groupe Bolloré, se retrouvent au sein d'un comité scientifique, dénué jusqu'à aujourd'hui de pouvoir de décision. Quant à la répartition des bénéfices, elle est censée se faire au profit de tous les Boliviens et en premier lieu des communautés du Salar. Mais aux dires du syndicat paysan FRUTCAS, à l'origine de la version actuelle du projet, dans sa phase pilote (dont l'objectif est de mettre en place une technologie appropriée), le débat sur cette répartition n'a pas encore été engagé.
Pour ce qui est des autres projets miniers, ils sont mis en place comme dans la plupart d'autres pays d'Amérique latine, en générant des impacts sociaux et environnementaux qui paraissent inévitables, même si l'Etat (la Comibol) y joue un rôle central. Certains d'entre eux provoquent des conflits, comme la relance de l'exploitation du cuivre à Corocoro (département de la Paz), initiée sans consultation des habitants des environs de cette ancienne ville minière, ce qui, tout comme le risque de contamination de l'eau utilisée par les communautés paysannes, déclenche les foudres d'une partie de la CONAMAQ (Conseil National de Ayllus y Markas du Qullasusyu, l'organisation des « originaires des Terres hautes », intégrante du Pacte d'Unité et acteur politique de premier plan). L'un des ses dirigeants, Rafael Quispe Flores, originaire de Corocoro, reproche publiquement à Evo Morales l'antinomie entre son discours sur le respect de la Pachamama et les faits.
A côté des mines publiques, coexistent les mines gérées par des transnationales et les traditionnelles mines « coopératives » comme celles de Potosi, où le mot « coopérative » ne rime ni avec justice sociale ni avec la protection de l'environnement. Récemment, le président a offert aux coopérativistes de Potosi deux nouvelles raffineries, alors que rien n'est fait jusqu'à aujourd'hui pour remédier à la contamination générée par plus de 500 ans d'exploitation des métaux, dont les immenses « digues de San Miguel », une montagne de résidus toxiques qui trône à la sortie de la ville impériale, sont la manifestation la plus flagrante.
Au-delà du secteur minier, nous pouvons aussi citer l'exploration pétrolière dans le Nord de la Paz (dont une partie dans un parc naturel), qui, en l'absence de consultation des peuples indigènes (Mozetenes et Lecos) potentiellement affectées par la future exploitation, est une autre source de conflits entre le gouvernement et les indigènes (cette fois-ci la CIDOB, l'organisation des indigènes d'Amazonie, intégrante elle aussi du Pacte d'Unité et, entre autres, à l'origine de la célèbre « Marche pour le Territoire et la Dignité » de 1990). Ou encore la mise en place de projets routiers de l'IIRSA qui ne se font pas en collaboration réelle avec les populations riveraines, dont certaines subissent les impacts négatifs tout en restant sur le bord de « la route du développement »...
Certes, beaucoup de chemin a été parcouru depuis 2005. Les politiques sociales ont mis en place des transferts directs de ressources à des secteurs qui en étaient démunis (allocations familiales, revenu minimum garanti pour les personnes âgées, assurances pour les femmes enceintes, programmes d'habitat, aide sanitaire cubaine, distribution des terres aux indigènes et aux paysans), les élites politiques se sont (en partie) renouvelées, et le discours émancipateur a abouti à une reconquête de l'identité et de la dignité indigènes et paysannes, aujourd'hui bien réelle et visible. Le gouvernement a aussi engagé une politique affirmée de reconstruction de l'Etat qui a récupéré le rôle productif et régulateur perdu suite aux réformes néolibérales de Sanchez de Lozada, même s'il convient de nuancer l'autonomie du pouvoir en place, fortement dépendant des ONG et de la coopération internationale[9], notamment pour le financement de certains programmes et ministères « progressistes » (dont ceux de la transparence, de l'eau et de l'environnement, etc.). Toutefois, affirmer que le gouvernement d'Evo Morales est en train de construire un modèle de développement inédit et autonome nous paraît erroné, tout comme il est difficile de ne pas pointer du doigt le fossé qui se creuse entre les discours écologistes du président destinés à la communauté internationale et les pratiques développées dans son propre pays.
[1] Voir : www.radiomundoreal.fm/Armonia-con-la-Naturaleza?lang=es
[2] 15ème conférence des Parties à la Convention des Nations Unies sur le changement climatique
[3] Lire Daniela Estrada, "Cambio climatico : La hora de la justicia" http://ipsnoticias.net/nota.asp?idnews=94201
[4] Site Internet de la Conférence : http://cmpcc.org/
[5] "Es el tiempo de crear el sistema del vivir bien y el manantial está en Bolivia", hebdomadaire La Epoca, La Paz
[6] Lire l'intégralité de l'interview : www.article11.info/spip/spip.php?article647#nb2
[7] Sur l'IIRSA, lire notamment www.aldeah.org/es/crisis-del-capitalismo-recolonizacion-alternativas-populares
[8] Réserves internationales inédites, excédent fiscal, croissance moyenne de 5 % par an (6,2 % en 2008) et inflation basse.
[9] Lire : Hervé do Alto, « De la révolution aux ONG, les « compagnons de route » d'Evo Morales », FAL Mag 94 (septembre 2008) et Antonio Rodriguez Carmona "El Proyectorado : Bolivia tras 20 años de ayuda externa", Intermon Oxfam 2008
PLACE DES AMERINDIENS DANS LE MONDE
Grâce à EVO MORALES, la population amérindienne commence à exprimer, en face du monde entier, sa philosophie de la nature.
Mais il faut rappeler que cette philosophie existe, pour nous, depuis cinq siècles.C'est de cette philosophie que se sont inspiré Marx et Rousseau , car si les grecs proposaient une philosophie du cosmos, Rousseau en définissant une philosophie de la nature ne fait que reporter les échos qui lui sont parvenus grâce à la colonisation de l'Amérique.
Il y a cinq siècles les Indiens n'ont pas eu besoin de la loi TAUBIRA pour dire que l'esclavage, cé pa bon bagaï, et la crise climatique a été prophétisée par des nombreux Chefs amérindiens (voir "Paroles indiennes")
Aujourd'hui nous regardons EVO MORALES avec beaucoup d'admiration et de respect, car nous voyons en lui un espoir...