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Ennemi de l’État : Carlos Zorrilla et la bataille pour Intag

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Date de publication: 
Lundi, 27 Janvier, 2014
Par: 
Par Gerard Coffey, Linea de fuego, 6 janvier 2014, traduction pour www.aldeah.org

« Un étranger qui empêche le développement de notre pays », c’est ainsi que Carlos Zorrilla, membre fondateur de  la DECOIN (Défense et protection écologique d'Intag, association connue pour son opposition aux projets d’exploitation de cuivre dans la vallée d’Intag), a été désigné par le président de l’Equateur en personne. Le 28 septembre dernier, lors de son émission télévisée hebdomadaire « Enlace Ciudadano », Rafael Correa a présenté à la Nation des photos de militants d'Intag, dont celle de Carlos Zorrilla, en les accusant de mener des activités « déstabilisatrices » et de faire de l’ingérence dans la politique nationale. A l'occasion d'un autre discours télévisé, le 7 décembre, le président Correa a une nouvelle fois nommément accusé Carlos Zorrilla, né à Cuba, de défendre des intérêts étrangers et a appelé la population équatorienne à "réagir". Aux côtés de nombreuses autres associations et collectifs, vigilants et solidaires avec la lutte d’Intag, nous souhaitons exprimer notre plus vive préoccupation devant cette attitude non seulement xénophobe mais qui, venant d’un chef de l’Etat, met directement en danger la sécurité des militants écologistes de la région. Afin de faire connaître qui est réellement Carlos Zorrilla, nous publions ci-après la traduction de l’article paru à son sujet dans Linea de Fuego.  Le Collectif ALDEAH.

Né à Cuba, il a quitté l’île lorsqu’il avait 11 ans, prenant la route des États-Unis avec sa famille. La terre promise ne l’a pas convaincu. Comme beaucoup de personnes de sa génération, il n’a pas accepté la guerre que son pays d’adoption menait au Viêtnam, et les manœuvres politiques du président d’alors, Richard Nixon, ne lui convenaient pas non plus. Il s’en est allé. Il cherchait un endroit où vivre en paix. En 1978, dans la vallée d’Intag (Imbabura), il a trouvé une zone agricole attrayante, habitée par des communautés fortes et solidaires. Et il est resté là-bas. « J’adore l’agriculture », confesse Carlos Zorrilla.  Sa décision n’est pas difficile à comprendre. La zone d’Intag, située sur les contreforts occidentaux du volcan Cotocachi, est chaude, verte et franchement belle. Peuplée à la fin du XIXe siècle par des familles ayant migré depuis d’autres secteurs d’Imbabura, ce district subtropical, principalement agricole, est riche en eau, en biodiversité et en paysages spectaculaires.

Mais l’histoire de Zorrilla en Intag n’est pas celle d’un bonheur bucolique, d’une promenade dans les nuages. La paix et la vie collective ne se donnent pas facilement. Il y a du cuivre dans les collines et, à double deux reprise durant ces dernières décennies, des entreprises étrangères ont cherché à exploiter ce minerai. « La première fois nous avons appris la présence d’une entreprise minière dans la zone à la fin de l’année 1994, dit Carlos, c’était la japonaise Bishimetals, une filiale de la multinationale Mitsubishi. Au début, les gens ne savaient pas pourquoi elle était là ».  

L’année suivante, les activités de l’entreprise minière les ont amenés, lui et Giovanni Paz, un prêtre d’Imbabura, ainsi que d’autres, à créer l’association DECOIN (Défense et Conservation Ecologique d’Intag), pour protéger la biodiversité de la région et développer des projets soutenables. « Nous savions que ces projets étaient importants pour l’avenir », témoigne Silvia Quilumbango, l’actuelle Présidente de DECOIN. L’un des produits-phares est le café organique, connu comme le Café du Río Intag, commercialisé même avant la création de l’AACRI (Association agro-artisanale Café Rio Intag, NdT), qui est aujourd’hui le groupement le plus important de producteurs de café de la région. Intag compte aussi avec une croissante industrie touristique. «C’était aussi notre initiative », dit Zorrilla.

L’arrivée de la compagnie minière a provoqué des conflits. Les uns contre les autres. Il était impossible de rester neutre, les communautés paysannes ont dû prendre parti, en faveur de la mine ou contre elle et contre tout ce qu’elle représentait. Le conflit est arrivé à son point culminant en mai 1997, lorsque des centaines de manifestants de sept communautés ont occupé le campement de Bishimetals. Trois jours après, ils ont démonté une partie du campement et ont brûlé ce qu’il en restait. L’État a poursuivi en justice plusieurs leaders locaux, parmi lesquels Polivio Pérez, qui continue aujourd’hui à lutter contre les projets miniers. Puis, les dirigeants communautaires d’Intag ont bénéficié de l’amnistie générale accordée par l’Assemblée Constituante en 2008 à ceux qui ont lutté pour défendre la terre.

Face à une opposition locale, qui a reçu un fort appui international, même de la part des groupes environnementalistes japonais, Bishimetals a fait marche arrière. Elle est partie en 1998, mais la paix en Intag n’a pas duré longtemps. Six ans plus tard est venue la société canadienne Ascendant Copper et, avec elle, de nouveaux et plus violents conflits. La société a utilisé des tactiques plus agressives que Bishimetals, et le combat est devenu plus dur. Il y avait des menaces de mort, des intimidations, des conflits violents entre les groupes pour et contre l'exploitation minière. En Décembre 2005, un campement d’Ascendant Copper a été incendié, et 300 personnes de quinze communautés en ont assumé la responsabilité collective.

En réponse, la société canadienne a créé une organisation « communautaire » parallèle, la CODEGAM (Corporation pour le Développement de García Moreno, NdT). Selon les opposants à la mine, son travail était de faire chanter, de répandre des menaces et de semer la division dans les communautés. Pendant un temps, elle a été dirigée par un ancien député, Ronald Andrade, dont l’hacienda de Campo Serio, dans le secteur de Selva Alegre, avait été le théâtre d’un meurtre de quatre personnes liées au narcotrafic. Andrade, qui a été accusé d'entretenir des liens avec le trafiquant de drogue Oscar Caranqui [i], est aujourd’hui en fuite et figure dans la liste des personnes « les plus recherchées » [ii].

Eminente figure de l'opposition, Zorrilla était dans l'œil du cyclone. Un ordre de détention préventive a été déposé contre lui, puis révoqué par le juge, faute de preuves [iii]. Zorilla a également été accusé par une employé d'Ascendant Copper, Mme Leslie Brooke Chaplin, de « vol qualifié » et de « lésions ». Selon elle, l'incident s'était produit pendant qu’elle diffusait l’information en faveur de son entreprise lors d'une manifestation anti-mines ayant réuni 600 personnes devant le ministère de l'Énergie et des Mines à Quito [iv]. Mais selon des témoins et des images filmées par plusieurs personnes présentes, Zorrilla n'a pas été impliqué dans la confrontation entre l'employée et les manifestants, pendant laquelle personne n’a touché Mme Brooke Chaplin.

La plainte n’a pas eu de suites, mais elle a suffi à justifier un raid policier au domicile de Zorrilla. La police a déclaré avoir trouvé des armes et de la drogue et, en octobre 2006, une enquête pour possession illégale d'armes a été ouverte. En mars 2007 toutefois, le procureur n’a retenu aucune charge contre Zorrilla.

D'autres opposants ont également vécu des agressions. Un groupe de 30 personnes, dirigé par des employés de l'entreprise, a tenté de lyncher Polivio Pérez, qui a réussi à s'échapper. Sa moto n'a pas eu la même chance, elle a été jetée dans un ravin. Un autre incident : des hommes armés ont fait irruption dans une maison où se réunissait un groupe d'amis écologistes, les ont ligotés et ont volé leur équipement.

Lors de l'une des plus violentes confrontations, un groupe de 15 agents de sécurité de la compagnie a attaqué les opposants à la mine avec des gaz lacrymogènes et des armes à feu. Mais ils n’ont pas pu dicter leur loi. Les riverains ont réussi à les prendre en otage, eux et 40 autres gardes envoyés pour construire un campement, puis les ont détenus pendant six jours dans la chapelle du village. Ils ont été libérés lorsque le ministère de l'Énergie et des Mines a exigé que la société minière suspende ses activités dans la région [v].

Ainsi, malgré toutes les difficultés, durant le dernier mois de la présidence d’Alfredo Palacio en 2006, les opposants à la mine ont réussi, grâce à leur force et à leur nombre, à arrêter une fois de plus les plans d'exploitation du cuivre. Cependant, comme cela s'est produit dans le cas de Bishimetals, le départ de l'entreprise n’a pas signé la fin de l'histoire. Ascendant Copper poursuit maintenant en justice le gouvernement équatorien pour avoir mis fin à la concession, et Carlos Zorrilla est un témoin clé de la défense.

La troisième fois, une chance pour qui ?

Une fois la bataille gagnée, les habitants d’Intag ont pu prendre le temps de respirer, mais ils n’ont jamais cessé d'être en alerte. Ils savaient que si les entreprises étaient parties, le cuivre, lui, restait, ce pour quoi les entreprises minières allaient certainement revenir un jour, d’une façon ou d’une autre. Et ce fut ainsi.

Cette fois, la troisième, c’est le président Rafael Correa, un ancien ministre des Finances du gouvernement Palacio, qui mène l'offensive. Et la bataille pourrait s’avérer encore plus difficile. Le gouvernement d’Alianza País dispose des moyens, contrôle les forces de sécurité et bénéficie d'un large soutien à l'échelle nationale. La victoire de Correa a été écrasante dans la région, selon les chiffres du gouvernement, son score lors des dernières élections présidentielles de février 2013 a été de 7 contre 1 [vi].

Le 26 juillet 2012, l’Equateur a signé un accord avec le gouvernement chilien pour relancer le projet minier en Intag. Le Chili participera au travers de sa compagnie minière nationale CODELCO. La feuille de route est tracée, et, pour le meilleur ou pour le pire, Carlos Zorrilla, le visage le plus visible de l'opposition locale, se retrouve une fois de plus aux premières loges.

Pas de surprise, donc, que le Président ait lancé des attaques contre le cubano-équatorien. Dans un de ses discours du samedi, il a établi une relation entre un manuel de résistance pacifique écrit par le Directeur exécutif de DECOIN (Zorrilla, NdT) [A] et une manifestation lors de laquelle ont été agressés un diplomate chilien et un entrepreneur biélorusse. « Je n'avais rien à voir avec cette manifestation […], explique Zorrilla, Rien à voir. M’amalgamer avec elle, c'est une tentative de me discréditer, parce que dans la vision du monde du Président, je représente un obstacle pour ses projets et donc il doit m’écarter de son chemin ».

« L'ironie, dit-il, est que ce manuel a été créé pour répondre aux actions illégales et aux abus commis par les sociétés transnationales, et quand il mentionne les entités gouvernementales, il le fait en suggérant plutôt de coopérer avec elles ».

Etant donné sa durée de résidence dans le pays (il a quatre enfants nés Equatoriens), il semble naturel que Zorrilla se sente offensé par les propos du Président. « Je ne suis pas du tout surpris d'être agressé verbalement par le Président, mais ce qui m'étonne, c'est d'être étiqueté comme élément déstabilisant venant de l’étranger et qui cherche à s'immiscer dans la politique du gouvernement. C'est un scandale. Et demander aux gens de réagir, ce n'est rien de moins qu'attiser la xénophobie ».

Il est préoccupé. Être désigné par le Président comme un ennemi du peuple, photos à l’appui,  pourrait avoir des conséquences pour vous lui et sa famille. Amnesty International est totalement d’accord. L'institution internationale a lancé une alerte mentionnant « une préoccupation croissante pour la sécurité de Carlos Zorrilla, activiste environnemental équatorien, et pour d'autres personnes qui ont protesté contre les projets de développement dans la région d'Intag ».  Zorrilla indique qu’en décembre la police a perquisitionné sa maison, prétextant une enquête. Ils ont même pris des photos de la propriété.

« Il est faux de dire que nous sommes en train d'entraver le développement, dit-il, ce que je représente avec d'autres est une vision différente, une proposition pour un autre mode de vie, un mode de vie qui a plus à voir avec le Sumak Kawsay qu’avec un développement qui dépend de l'extraction de minerais. Nous ne sommes ni naïfs ni fauteurs de troubles, nous avons vu les résultats de l’exploitation minière à grande échelle au Pérou, et, croyez-moi, ils n’ont rien d’agréable. Ici, en Intag, nous avons une autre vision de l'avenir ».

Et c'est vrai. L'exploitation minière est l'une des activités extractives et industrielles les plus sales. Si l'extraction du pétrole peut causer de graves impacts environnementaux, l’activité minière est clairement pire, et en Intag il est question non pas d’une seule, mais de plusieurs futures mines. « Les gisements sont dispersés […], dit Zorrilla, et donc il y aura plusieurs mines à ciel ouvert dans la cordillère de Toisan ». Il ajoute que le secteur minier aux États-Unis est le plus grand pollueur.

Bien sûr, il existe différents moyens d’extraire des métaux, certains meilleurs que d’autres. Les sources officielles parlent des technologies de pointe, mais, en fin de compte, même l'entreprise la plus « responsable » ne pourra éliminer les déchets solides produits par l'exploitation minière à ciel ouvert. Et ils sont extrêmement importants. En Intag, la concentration du minerai est d'environ 0,7 %, ce qui signifie que 99,3 % de la roche extraite restera sous forme de déchets. Ces débris, des résidus, ne sont pas inertes. «Ils peuvent libérer des métaux lourds et provoquer des drainages miniers acides causant de graves dommages à l’environnement, en particulier aux rivières. Et de plus, nous sommes ici à la source de plusieurs systèmes fluviaux majeurs, qui alimentent la région côtière, et dans une zone où la pluie est forte et permanente » [B].

Mais ces arguments n’ont pas rencontré d’écho dans les cercles officiels. Les ordres sont les ordres. Selon la direction de l'entité publique, ENAMI EP, titulaire de la concession minière du secteur Intag [vii], afin d'obtenir la licence environnementale du Ministère de l'environnement, « il est nécessaire d’obtenir les documents administratifs qui donnent expressément leur accord, octroyés par différentes autorités, parmi lesquelles, en vertu du plan d’aménagement du territoire et du développement économique et social du canton, se trouve le Conseil municipal de Cotacachi» [viii ] .

Ces paroles d’ENAMI n’ont pas pesé non plus. Ces prérequis ont beau être « nécessaires » pour ENAMI et pour le Ministère de l'environnement, cela n’a pas empêché les techniciens de la compagnie minière chilienne CODELCO de tenter à pénétrer dans la zone de Junín en septembre 2013, accompagnés de véhicules de police. La réponse des riverains a été d'empêcher leur passage.

La réaction de Rafael Correa a été tranchante. « Tirons des leçons de cela [...] ne  permettons pas qu’un petit nombre de personnes entravent le progrès de tous, s’opposent au bien commun, il faut rejeter ces gens qui, avec de jolis mots comme le droit de résistance, veulent imposer leurs intérêts, de groupe, de famille ou individuels, en  portant atteinte  à la démocratie elle-même. […] Ayez foi en ce gouvernement qui ne cherche rien pour lui-même, mais tout pour vous, une exploitation minière responsable peut sortir de la pauvreté, en particulier les populations qui vivent dans ces secteurs». [ ix ]

La bataille se poursuit pour l'instant seulement avec des mots. Le danger est que la confrontation devienne violente. Le Président, selon son style habituel, ne semble pas disposé à faire des compromis, et les opposants au projet minier restent déterminés. Ils sont passés par d’autres batailles et ne doutent pas de leur capacité à résister.

Développement et Buen Vivir (Bien Vivre)

Il est vrai qu’il y a en Équateur beaucoup de pauvreté, beaucoup de besoins fondamentaux non satisfaits, et il est tout aussi vrai que, pour répondre à ces besoins – eau potable, évacuation des eaux usées, éducation, santé –, il faut de l’argent. Personne ne le nie. La question n’est pas de savoir s’il faut essayer de résoudre ces problèmes, mais comment les résoudre. Le Président Rafael Correa estime essentiel d’utiliser les ressources naturelles du pays pour améliorer l’existence des Équatoriens et financer les programmes sociaux et les projets d’infrastructure. Il pense que face à l’avenir incertain du pétrole, un petit nombre d’activistes ne peut pas ou ne devrait pas faire prévaloir leur propre vision sur les besoins de la majorité de la population. D’après lui, les Équatoriens ne devraient pas rester des mendiants assis sur un sac d’or – ou plutôt, en l’occurrence, un sac de cuivre.

Les habitants d’Intag qui s’opposent à l’exploitation minière expliquent pour leur part qu’il ne s’agit pas seulement de protéger leur environnement régional immédiat ni même l’intégrité de leurs terres et de leur mode de vie. Il ne s’agit pas non plus d’imposer leur ordre du jour aux autres Équatoriens. Ils avancent aussi des arguments économiques liés à la valeur des « services écosystémiques » que fournit la région d’Intag au pays, à savoir des arguments élaborés en vertu des concepts de l’économie écologique. D’après Silvia Quilumbango, « nous ne nous bornons pas à un pur refus, qui serait insensé ; au contraire, en tant que communauté locale, nous avons démontré que nous sommes des leaders régionaux dans la génération de ressources financières au service des collectivités, mais de manière alternative, en respectant la nature, en respectant nos coutumes ancestrales ; nous avons consolidé un modèle de développement respectueux et nous ne voulons pas qu’il soit éliminé ».

Une étude effectuée en 2011 par Earth Economics[x] indique que la valeur des services environnementaux détruits par l’exploitation minière est supérieure à la valeur du cuivre exploité. Toujours d’après ce document, si l’on applique un taux d’actualisation écologique communément accepté de 3 %, « nous constatons que la valeur des 18 services écosystémiques identifiés à Intag peut être estimée entre 3 milliards de dollars et 28 milliards de dollars. Ce qui démontre que les systèmes naturels et agricoles de la région d’Intag représentent un énorme capital national. Étant donné qu’avec le temps, ce capital naturel va s’apprécier plutôt que se déprécier, on peut considérer que le taux d’escompte est en réalité proche de zéro »[xi] .

Comme on pouvait s’y attendre, tous les habitants d’Intag ne sont pas opposés au projet d’exploitation minière. Certains y voient des avantages, mais combien sont-ils au juste ? D’après le président de la Junta Parroquial d’Apuela [NdT : unité administrative inférieure au canton, ce dernier correspondant à peu près à une commune française],  ce serait moins de 20 % des habitants qui s’opposeraient à la mine, tandis qu’une enquête mise en œuvre par ENAMI (Empresa Nacional Minera del Ecuador), la  compagnie nationale d’exploitation minière (publique), revendique le soutien majoritaire de la population au projet minier [xii]. Zorrilla récuse ces chiffres : « Dans les réunions locales et cantonales, on constate une proportion de 90 % d’opposants à l’exploitation minière. Quant aux enquêtes qu’on nous oppose, nous n’avons aucune idée d’où et de comment elles ont été effectuées. »

Malgré les divergences entre différents secteurs de la population locale, il y a aussi des facteurs externes qui pourraient finir par exercer une influence décisive : en fin de compte, la controverse pourrait bien être tranchée par l’évolution du prix du cuivre sur le marché mondial. Ce dernier a baissé d’environ 25 % depuis le maximum de 4,50 dollars la livre atteint en 2010 ; il n’est plus que de 3,27 dollars aujourd’hui, ce qui reste toutefois élevé par rapport aux niveaux historiques. En 2004, par exemple, ce chiffre était moins d'un dollar la livre. Tout dépend, et dépendra, de la demande chinoise [C].

Ce pays asiatique consomme 40 % de la production mondiale et une diminution de cette demande aurait clairement un impact important sur le prix du cuivre, et donc sur la rentabilité de l’exploitation minière à Intag. Le prix de ce métal va-t-il baisser ou augmenter ? Les opinions divergent. D’aucuns misent sur la stabilité tandis que d’autres estiment possible une chute spectaculaire si la bulle immobilière sur laquelle repose la demande chinoise depuis des années éclate. On parle aussi d’une offre excédentaire importante pour l’année 2014 et du stockage non reporté de millions de tonnes de cuivre [xiii], deux facteurs qui pourraient entraîner une chute dramatique dans un avenir proche.

Objectifs louables

La vraie bataille d’Intag n’est pas l’histoire de quelques personnes imposant leur ordre du jour au plus grand nombre, ni celle d’une dispute personnelle entre Carlos Zorrilla et Rafael Correa et son gouvernement. Il n'est pas question non plus de mauvaise foi. Rafael Correa veut de l'argent pour améliorer la vie de la population en général, les habitants d’Intag cherchent à prouver, et avec un certain succès, qu'un autre monde est possible. Ce sont des objectifs louables, mais qui, évidemment, s'excluent mutuellement.

Dire que toute activité humaine a un impact négatif sur l'environnement est certes vrai, mais insuffisant. La question principale est de savoir quelle destruction peut être justifiée au nom de la construction d'une société plus moderne et plus équitable. Comme les études l'indiquent, les impacts de l’activité minière dans la Cordillère du Toisan seraient gravissimes et coûteraient dans le meilleur des cas plus que la valeur du cuivre extrait. Sans parler de la remise en état du site.

La question prend encore plus d’importance dans une région où depuis des décennies les habitants s'efforcent d’encourager des activités moins nocives. Cela vaut la peine de se demander quel profit il y aurait à long terme pour le pays si le gouvernement décidait d'investir dans la région pour améliorer les infrastructures touristiques - un pilier du plan national de Buen Vivir (Bien Vivre) [D] - ou promouvoir la production et l'exportation du café biologique.

La diabolisation de Zorrilla est non seulement grotesque, mais elle dissimule aussi, en fin de compte, un affrontement entre deux façons de voir et de vivre dans le monde, et entre deux façons de lire les textes économiques.

Notes de la traduction :

[A] Le Manuel de résistance pacifique est consultable ici : http://www.aldeah.org/es/protegiendo-su-comunidad-co... (en espagnol)
[B] Drainages miniers acides : acidification des eaux pluviales et donc des réseaux hydrographiques par ruissèlement sur les stériles. Ce à quoi il faut également ajouter la libération, au contact avec l’eau et l’air, des métaux lourds, d’arsenic et/ou de substances radioactives contenus naturellement dans la roche.
[C] Cependant, même si depuis deux ans, les prix des principaux métaux baissent, ils se maintiennent à un niveau très élevé. Entre 2002 et 2012, le prix du cuivre a augmenté de plus de 400% .
[D] http://plan.senplades.gob.ec/

En savoir plus :
sur Intag (en français) : http://www.aldeah.org/fr/intag 
http://www.aldeah.org/fr/lorsque-resister-devient-creer-l-experience-d-un-mouvement-socio-environnemental-equatorien
sur les accusations formulées par R. Correa (en espagnol) : http://www.aldeah.org/es/intag-indefensio-n
sur l’industrie minière : http://www.aldeah.org/fr/sources-et-ressources

Version originale de cet article : http://lalineadefuego.info/2014/01/06/enemigo-del-estado-carlos-zorrilla-y-la-batalla-por-intag-por-gerard-coffey/


Notes :

[i] Oscar Caranqui, l’auto-dénommé « Jaguar », dont le livre « La Roca: Cementerio de los Hombre Vivos » avait été saisi par la police en février 2013, a été assassiné en juillet de cette année, alors qu'il purgeait une peine de 25 ans de prison pour narcotrafic à la « Roca » de Guayaquil .

[ii] La Hora Imbabura : “Aparecen pistas de masacre en Otavalo”. http://www.lahora.com.ec/index.php/noticias/show/523...

[iii] Organisation mondiale contre la torture, Ecuador: “Hostigamiento judicial en contra del Sr. Carlos Zorrilla”. http:// www.omct.org/es/human-rights-defenders/urgent-interv...

[iv] La manifestation a eu lieu en juillet 2006.

[ v ] Emol.com, Les otages dans la région minière de l'Equateur ont été libérés . http://www.emol.com/noticias/internacional/2006/12/1...

[vi ] http://www.enamiep.gob.ec/index.php/component/conten...

[vii] La superficie de la concession est de 4956 hectares et elle concerne les territoires des paroisses de García Moreno et Peñaherrera, en particulier la commune de Junín.

[viii] http://www.lahora.com.ec/index.php/noticias/show/110...

[ ix ] Site Internet d’ENAMI : “Presidente respalda trabajo de la Enami EP en Íntag y rechaza a sectores que impiden el bien común”, http://www.lahora.com.ec/index.php/noticias/show/110...

[x] Earth Economics est une organisation à but non lucratif basée aux Etats-Unis, à Tacoma, dans l’État de Washington.

[xi] Étude écologique de la région d'Intag, Équateur, http://www.eartheconomics.org/FileLibrary/file/Repor...

[xii] TVN , 6 octobre 2013 : « Defensores de la minería en Intag estuvieron en el enlace presidencial », http://tvncanal.com/index.php?option=com_content&vie...

[xiii] Tatyana Shumsky, « Millones de toneladas de metales están almacenados ‘en las sombras’ », Wall Street Journal en español, 27 décembre 2013.

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