Langue

Répondre au commentaire

Conga: une lutte de longue haleine

Version imprimableVersion imprimableSend by emailSend by email
Source de l'article de presse
Auteur de l'article de presse: 
Raquel Neyra
Date de publication: 
Samedi, 31 Août, 2013

FAL Magazine, automne 2013

Une des stratégies des forces armées est la guerre d’usure. On pourrait se demander si ce n’est pas le cas dans la lutte qui oppose Yanacocha et le gouvernement péruvien aux résistants pacifiques au projet minier Conga.

Au début de la résistance, le gouvernement péruvien avait fait le choix de montrer toute son autorité en réprimant les opposants avec violence[i], en déclarant plusieurs fois l’état d’urgence dans les provinces concernées, en dénonçant constamment les dirigeants, en fouillant leurs foyers, en les diffamant.

El agua es un tesoroEl agua es un tesoro

[i] Cinq morts en juillet 2012, des habitants de Celendin etde Bambamarca

Aujourd’hui, cette méthode semble mise de côté pour éviter des réactions nationales et internationales trop vives. Le gouvernement d’OllantaHumala,conseillé par l’ex-colonel des forces armées Adrián Villafuerte[i], a fait le choix d’une autre stratégie.

Cette stratégie reprend certaines méthodes déjà appliquées, comme le suivi, la surveillance et l’observation des opposants et des possibles opposants. Cet ainsi qu’à Celendín, Cajamarca ou Bambamarca, on peut facilement repérer des personnes feignant être des vendeurs à la sauvette, qui  ne vendent rien ni cherchent à vendre quoique ce soit, des personnes feignant attendre un taxi qui n’arrive jamais ou une séance de cinéma qui n’aura pas lieu, et qui sont là pour fournir des renseignements aux forces de police ou pourphotographier les activistes. Aussi, les dénonciations dans des tribunaux éloignés des domiciles des dirigeants continuent.

Mais l’opposition et la résistance restent fermes : les « guardianes de las lagunas » campent toujours à 4200 mètres d’altitude, et, grâce à la donation d’un lopin de terre par un paysan, ils peuvent rester sans trop de problèmes…. hormis les coups de feu périodiques tirés par des inconnus pour essayer de leur faire peur. La solidarité internationale reste aussi attentive à tout méfait et, grâce à de très belles initiatives de réseaux et d’activistes (ALDEAH, No a La Mina, International Rivers, France Libertés, Amnisty, collectifs anti-gaz de schiste français et irlandais, etc.), la solidarité est manifeste dans toute l’Amérique Latine, en France et elle s’est étendue aujourd’hui aux pays anglo-saxons. Alors, le gouvernement cherche d’autres méthodes, plus sournoises, plus longues à appliquer :

1-    En 2014 auront lieu au Pérou des élections municipales. Des opposants à la mine ont pris la décision de participer à travers leurs organisations de base. Les partis politiques de gauche y prendront part aussi. Alors, le gouvernement cherche par tous les moyens de placer ses candidats en lisse, soit directement avec les partis de droite, soit avec des soi-disant indépendants au faciès d’ex-militaire difficile à cacher[ii], soit en « achetant » des opposants à la mine : on fragilise le mouvement en distribuant des cuisinières à gaz, des postes de travail, en promettant des infrastructures qui auraient déjà dû arriver il y a belle lurette ou directement de l’argent.

2-    Les campagnes de diffamation sont de plus en plus fortes. Non seulement la vie privée des dirigeants est fouillée et bafouée, mais on invente également des origines obscures de financement de la lutte, des possessions de biens et des voyages aux Caraïbes. On diffuse des mensonges à travers le web, youtube, twitter, facebook, on crée des « trolls » qui poursuivent, commentent et insultent les pages web des opposants. Ou, plus ouvertement, on diffuse à la radio des intentions - complétement inventées - de boycott des fêtes de villages, des menaces supposées d’attentats par des opposants au projet minier, « acharnés à déranger le déroulement des fêtes de taureaux »[iii]. On les accuse même de se droguer en publiant des photos d’un étranger qui roule une cigarette, l’étranger faisant office d’« ONG étrangère qui finance » et, bien sûr, on prend les Péruviens pour des ingénus incapables de faire la différence entre rouler sa cigarette et se faire un joint. Mais le mal est fait.

Alors, vient le pénible travail pour les dirigeants de devoir se justifier, de contredire les rumeurs, de payer des minutes de radio pour émettre un communiqué, d’acheter du papier pour distribuer des tracts… et ce sont les finances qui sont touchées, visées, on fatigue, il n’ y a plus d’argent pour se nourrir, pour nourrir les guardianes, pour aller de village en village pour soutenir la résistance, pour se présenter aux tribunaux où on est dénoncés.

3-    Le suivi des opposants devient systématique. Pire encore, on laisse planer des menaces d’assassinats, on annonce l’arrivée en ville de sicaires payés trois sous (« 100 soles ») pour tirer sur les dirigeants ; on leur dit « fait drôlement gaffe à toi, j’ai peur pour toi ». Vrai ou pas vrai ? Le climat d’insécurité s’installe.

4-    Des coupures d’eau dans les villages, systématiques et inexpliquées, cherchent à justifier la construction des réservoirs « pour avoir de l’eau dans les robinets toute l’année ». Avant l’arrivée de la mine, c’était bien le cas….

5-    La division d’une certaine gauche, qui oscille entre résistance et faire les faveurs du gouvernement, est apparente. Malheureusement, beaucoup d’entre eux se prêtent aux campagnes visant à diffamer les personnes qu’ils voient comme leurs concurrents sur le plan politique.

Tout n’est pas dit sur Conga, même si on nous fait croire que la baisse du prix de l’or a repoussé le début de l’exploitation. La résistance continue, le premier réservoir [iv] est fini, le deuxième est en voie de construction[v].

Cependant, le gouvernement ne comptait pas sur la ténacité des opposants qui ont vu se développer sur leur territoire un autre projet, aussi écocide que Conga : le projet de barrage hydroélectrique Chadin 2.

Le gouvernement d’Alan Garcia avait approuvé la construction de plus de 20 barrages sur le fleuve Marañon (rien que cela !), fleuve amazonien très turbulent et difficile à naviguer. Le projet de barrage Chadin 2, entre les départements de Cajamarca et d’Amazonas, touche directement la province de Celendin déjà menacée par le projet minier Conga. Ce barrage concessioné à l’entreprise AC ENERGIA SA, filiale de la brésilienne Odebrecht, doit pourvoir en énergie Minas Conga… Situé aux confins de la selva alta[vi], le fleuve fait des superbes zigzag et forme des cañons où se développe une faune riche. Dans ses vallées nous trouvons des fruits tropicaux et des agrumes. Sur ses berges, la pêche est abondante. Mais, le barrage menace 32km² de ce territoire amazoniende destruction de sa biodiversité et d’expulsion de paysans, après l’éventuel rachat de leurs terres (à quel prix ? sous quel contrôle ?).

AC Energía SA a réalisé des audiences publiques d’information, condition nécessaire pour demander l’approbation de son étude d’impact environnemental (EIA). Au Pérou, sous le gouvernement d’Ollanta Humala, un EIA est validé en moins de cent jours  et examiné par le Ministère d’Energie et de Mines! L’une de ces audiences a eu une fin très violente : les opposants au barrage, venus depuis de nombreux districts, ont été réprimés par les forces de l’ordre qui avaient pris,dès le petit matin,le village de Cortegana en assaut. Neuf blessés,dont une petite fille de cinq ans, tel fut le résultat de cet affrontement. Mais une des personnes blessées a trouvé le courage pour arracher des mains des promoteurs de l’audience les feuilles de présence[vii]prouvant que de faux noms et de fausses signatures y apparaissaient.

Une dénonciation est en cours pour contrecarrer l’approbation de cet EIA par le ministère: gagnera-t-on la lutte ? Dans tous les cas, la conviction, la ténacité et le courage ne sont pas amoindris : on continue, pour nos enfants, pour la Vie.

CONGA NO VA !

CHADIN 2 NON PLUS !

Par Raquel Neyra, membre du PIC, du Collectif ALDEAH et correspondante de Servindi à Celendín

 



[i]surnommé “L’acide” ou “Le muet”, fidèle opérateur de Ollanta Humala pour la défense, la direction d’intelligence et l’intérieur.

[ii] C’est le cas de Briones, ex militaire, candidat aux élections municipales de Celendin

[iii]Celendin, fêtes de la Virgendel Carmen et Nationales du mois de juillet 2013

[iv]Chailhuagón

[v] El Perol

[vi] Végétation amazonienne de montagne

[vii] Feuilles de présence à l’audience: l’entreprise doit prouver qu’un minimum de personnes a assisté à l’audience

Répondre

Le contenu de ce champ est gardé secret et ne sera pas montré publiquement.