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Des ressources naturelles au cœur des conflits : Colombie

Pourquoi les zones d’exploitation minière sont-elles autant concernées par des cas de violations des droits humains ?

Sergio Moreno Rubio : Principalement en raison de la pression foncière qui résulte d’une concurrence pour l’utilisation et l’appropriation du sol et du sous-sol. Cela a été reconnu par des institutions judiciaires telles que la Cour constitutionnelle de Colombie. La cartographie des nombreux conflits que connaît le pays coïncide avec la cartographie de l’exploitation minière et des sources d’énergie. Il est clairement établi qu’une part importante des violations des droits humains enregistrées en Colombie ces dix dernières années (y compris des cas de déplacement forcé et d’expropriation de terres) ont eu lieu dans les régions minières dans lesquelles intervenaient des entreprises multinationales et des groupes paramilitaires.

Révolte des sacrifiés au «développement»

Par: 
Anna Bednik

Açailândia, ville brésilienne du Nordeste. Son nom fait référence au fruit du palmier d’açaí, ingrédient de base de l’alimentation amazonienne traditionnelle. Il y a moins de 40 ans, c’était la forêt, habitée par des indigènes. Aujourd’hui, il ne reste plus un seul arbre d’açaí, seules les plantations d’eucalyptus, destinées à produire du charbon végétal pour la sidérurgie, verdissent quelque peu cette plaine désaffectée, point de passage du train de Vale do Rio Doce [1], dont les 312 wagons interminables évoquent un autre train célèbre, celui de « Cent ans de solitude » - à la différence près qu’ils ne transportent pas des cadavres mais des minerais de la terre rouge d’Amazonie. Les usines sidérurgiques, dont la fumée embrume encore les derniers jours de cette ère industrielle, vont bientôt fermer boutique : pour la Vale, il est maintenant plus intéressant de transformer le minerai au Mozambique ! Que restera-t-il ? Des souvenirs d’un « développement » toujours à venir, des rêves d’une vie meilleure qui, il y a moins de 40 ans, ont fait traverser la jungle aux premiers colons à la recherche du bois précieux. Qui les ont ensuite poussés, suivant les injonctions des éleveurs, à en finir avec la forêt, la transformer en charbon et laisser la place au bétail. Qui les ont aussi fait se taire quand les propriétaires autoproclamés des terres défrichées donnaient l’ordre de faire courser les Indiens par des chiens et les abattre d’un coup de fusil lorsqu’ils grimpaient aux derniers arbres. Qui, certainement, les ont fait applaudir quand la Vale annonçait la construction du chemin de fer, les embauchait pour planter des eucalyptus qui asséchaient les terres, quand la sidérurgie s’installait et, avec elle, les charbonneries, célèbres repères du travail esclave. Açailândia a vécu, en moins de 40 ans, toute une spirale de « cycles de développement » des plus sauvages. Qu’en reste-t-il ? Des souvenirs des rêves d’une vie meilleure, à jamais confinés dans de petites maisons, entassées autour d’un ravin, dans un paysage à l’horizon ravagé. 

A la Oroya, au Pérou, le développement est vert et blanc. Vert et blanc, ce sont les couleurs auxquelles Doe Run Perú, l’entreprise qui exploite une gigantesque fonderie de métaux, repeint écoles, parcs, places…, en faisant croire que ces installations lui doivent leur existence. Au-delà de ces couleurs, qui contrastent avec la montagne rasée et délavée à force d’émanations toxiques, la ville dominée par une géante cheminée a l’esthétique malsaine de l’enfer.

Mouvements socio-environnementaux en Amérique latine : territoires, écosystèmes et cultures

En avril dernier, alors que les 17 tables du sommet de Cochabamba, convoqué par le gouvernement bolivien, analysaient les « causes structurelles et systémiques » du changement climatique et discutaient des stratégies à mettre en place pour défendre « la vie et les Droits de la Terre Mère», la table 18, réunie par des organisations indigènes et écologistes hors programme officiel, débattait des conflits socio-environnementaux locaux et dénonçait, entre autres choses, l'attitude du gouvernement en matière de politique minière et face à la construction des barrages sur le fleuve Madeira. Cette contradiction est révélatrice des tensions, difficiles à ignorer, présentes aujourd'hui dans tous les pays d'Amérique latine, des régimes les plus néolibéraux aux plus progressistes.

Documents

Quand l’agro-écologie tisse des « liens qui libèrent » : une expérience colombienne

Par Anna Bednik. Dans Franck Gaudichaud (dir.), Amériques latines : émancipations en construction, Cahiers de l’émancipation, Syllepse, janvier 2013

La  globalisation du  capitalisme  uniformise les  territoires,  s’insinue dans  tous les  domaines  de  la  vie, instille dans les esprits l’utilitarisme et la logique de domination et détruit peu à peu les autres formes d’inscription dans le  monde.  Sa  progression  exige  toujours  davantage  :  de  plus  en  plus  d’activités  génératrices  de  profit  et d’inégalités  qui  rendent  ce  profit  possible,  toujours  plus  de  matières  premières  à  offrir  aux  exigences  – assidûment  croissantes  –  d’une  humanité  en  passe  de  devenir  un  appendice  de  la  machine  économique  et transformant toute forme d’existant en ressource exploitable. De nombreux chemins peuvent mener à ce même résultat. En Colombie, où, comme dans d’autres pays de la région,  le  néolibéralisme  s’est  enraciné  au  cours  des  trois  dernières  décennies,  la  redéfinition  des  scénarios sociaux et productifs est aussi allée de pair avec « toujours plus de violence ». Appliquant à la lettre la doctrine de la guerre antisubversive contre les guérillas communistes qui le défient depuis bientôt 50 ans, l’Etat a laissé le pays à la merci de groupes paramilitaires. Sous-traitants de la guerre sale pour l’armée régulière, mercenaires de « sécurité » et de coercition pour ceux qui ont des intérêts à défendre et de l’argent pour payer, ces derniers se  sont  progressivement  affirmés  comme  de  nouvelles  élites  locales  et  régionales.  Leur  autonomie  et  leur pouvoir ont grandi, tout comme leur faculté à s’imposer aux différents échelons de l’Etat.  Lire la suite