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Equateur

Changer de maître, mais pas d’école ? Opération Correa en huit leçons.

Date de publication: 
Jeudi, 23 Avril, 2015
Par: 
Collectif Aldeah

Crédit : http://www.lemandarin-magazine.com/la_chine_en_equateur_derriere_la_fraterniteCrédit : http://www.lemandarin-magazine.com/la_chine_en_equateur_derriere_la_fraterniteActuellement en salles, le film « Opération Correa » de Pierre Carles se propose de dévoiler la logique marchande des grands médias qui pousse les journalistes à ignorer le « miracle équatorien » et son principal protagoniste, Rafael Correa, président de l’Equateur depuis presque neuf ans*. De Podemos (Espagne) à Syriza (Grèce), en passant par Jean-Luc Mélenchon en France, le rêve équatorien séduit pourtant la gauche radicale européenne, et l’« opération » de Pierre Carles entend donner à cet enthousiasme un nouvel élan. Mais après ces neuf années, que peut-on dire du projet politique de Rafael Correa ? Entre le silence des grands médias et la propagande des hérauts de la « révolution citoyenne », difficile d’y voir clair. 

Bien qu’il soit impossible de dresser un bilan complet, certaines caractéristiques de la gestion de Correa nous interpellent. En tant que militants, français, latino-américains et notamment équatoriens, engagés dans des luttes concrètes contre l'extractivisme, l'autoritarisme et le capitalisme (non, nous ne sommes pas des agents de la CIA), nous sommes inquiets de constater que la « révolution citoyenne » de Correa sert de source d’inspiration aux dirigeants et militants en quête « d’alternatives » qui ne semblent pas être au fait des réalités locales, ou qui décident de les ignorer au risque de cautionner des politiques, discours et attitudes contre lesquels ils se battent ici-même en Europe. Une mise au point s’impose.

 (1) Rafael Correa est-il anticapitaliste ?

Il nous répond lui-même : « Nous faisons mieux avec le même modèle d’accumulation, plutôt que de le changer, parce que notre intention n’est pas de porter préjudice aux riches, mais de parvenir à une société plus juste et équitable »[1].

 (2) Quel genre de démocratie est l’Equateur de Rafael Correa ?

Rafael Correa et son mouvement politique, Alianza País, ont enclenché un processus de modification de la Constitution (promulguée lors de son premier mandat), qui lui permettrait de briguer plus de deux mandats successifs[2], contredisant ce qu’il affirmait il y a peu : « ce serait très malheureux qu'une personne soit si indispensable qu'il faille changer la Constitution pour modifier les règles du jeu »[3]. La même réforme constitutionnelle donnerait à l’armée le droit de participer à des opérations de sécurité publique (article 158), limiterait la possibilité de citoyens de se défendre contre les actes abusifs de l’Etat (article 88) et ferait de la « communication gouvernementale » un service public impliquant un droit de diffusion (au nom de ce service) et un contrôle accru sur les médias publics et privés (article 384)[4].

De même, le décret présidentiel n°16 [5] « encadre » si bien l’activité des associations que, quelques mois après son entrée en vigueur, il a déjà permis la fermeture de la Fundación Pachamama pour le motif qu’elle aurait exercé une activité politique menaçant la sécurité de l’Etat[6]. Pour rappel, en vertu de ce décret, l’activité politique n’est autorisée qu’aux partis politiques, officiellement inscrits comme tels, sous peine de dissolution ou de poursuites pénales! Quelle liberté pour les contre-pouvoirs existe-t-il aujourd’hui en Equateur si critiquer l’action du gouvernement peut mener les représentants d’une association en prison ? Qu’est-ce qu’une « activité politique » ? Il s’agit bel et bien d’un ensemble de réformes anti-démocratiques et elles ne sont pas le fruit du hasard.

Sous les mandats de Rafael Correa, les projets d’exploitation de ressources naturelles sont lancés sans consultation des communautés indigènes[7], en violation de la convention 169 de l'OIT (ratifiée par l’Equateur) et de la Constitution, instaurant un climat de peur et de répression des opposants : emprisonnement sans preuve, assassinats inexpliqués, répressions violentes, vexations quotidiennes. Dans la Cordillère du Condor (en Amazonie), trois de nos camarades ont ainsi récemment disparu : en 2009, Bosco Wisum est tué par la police lors d'une manifestation en opposition à la nouvelle loi sur l'eau (favorisant sa privatisation) ; en 2013, Freddy Taish est abattu lors d'une opération de l'armée ; enfin, en 2014, le corps sans vie de José Tendetza, opposant notoire au mégaprojet minier chinois Mirador, est retrouvé dans un affluent du Rio Zamora. Javier Ramirez, un des leaders de l’opposition à l’exploitation du cuivre en Intag, a été emprisonné durant 11 mois sans que les faits qui lui sont reprochés ne soient établis, tandis qu’un autre opposant, Carlos Zorrilla, d’origine cubaine mais qui réside en Equateur depuis 1978, a été accusé publiquement par le président Rafael Correa en personne, lors de son émission télévisée hebdomadaire, d’être « un étranger qui empêche le développement [du] pays » ![8]

Enfin, à propos de l’avortement, nous vous laissons juger : en 2013, lorsqu'un petit groupe de députées appartenant à Alianza País (parti de Rafael Correa) proposent de le dépénaliser en cas de viol, Rafael Correa, fervent catholique, menace de démissionner et dénonce la « trahison » des députées, tout en jurant qu’il refuserait d’accepter cette décision du parlement si elle était votée[9]. Son secrétaire juridique, Alexis Mera, un homme politique qu’on situerait volontiers à l’extrême droite en France, qualifiera de "mal baisées (mal culiadas)" les féministes pro-avortement[10] ! Ambiance.

(3) La « révolution citoyenne » de Rafael Correa est-elle portée par les mouvements populaires, indigènes et paysans ?

L’Amérique Latine aujourd’hui, vue du bas

Date de publication: 
Mardi, 23 Septembre, 2014
Par: 
Raul Zibechi - Traduction par Thierry Uso

Traduction par Thierry Uso de l’interview de Raul Zibechi publiée en juin 2013 dans le magazine MU.

LUruguayen Raul Zibechi travaille comme journaliste au magazineBrecha, coopérative créée entre autres par Eduardo Galeano et Mario Benedetti. Depuis 2001, Zibechi se focalise sur les mouvements sociaux à travers lAmérique Latine, quil découvre lors de voyages partout il est invité. Il est lauteur de plusieurs livres dont le plus récentThe New Brazil: Regional Imperialism and the New Democracy.

A voir aussi sur Aldeah : http://www.aldeah.org/fr/amerique-latine-tensions-en...

1- EQUATEUR

En Equateur, il y a un gouvernement qui proclame une révolution citoyenne et qui a une constitution qui fait référence de manière explicite au Buen Vivir et aux droits de la nature. En même temps, il y a 179 ou 180 dirigeants indigènes et militants accusés de sabotage et de terrorisme pour ce qu’ils ont toujours fait : bloquer les routes et occuper l’espace public pour protester et stopper les projets miniers qui affectent leur moyen d’existence et leurs communautés. La plus grande lutte actuelle des mouvements sociaux est pour défendre l’eau et arrêter les mines à ciel ouvert. Le président Correa les appelle les « ventres pleins » (« pancitas llenas ») qui parce qu'ils sont rassasiés peuvent se consacrer à critiquer le gouvernement et l’industrie minière au côté de leurs amies ONG impérialistes.

MU: Le président bolivien Evo Morales dénonce aussi ces ONG comme des organisations défendant les intérêts impérialistes afin de saper le pouvoir de lEtat en Amérique Latine.

Oui, Correa et Morales accusent les mouvements sociaux d’être manipulés par les ONG, comme si les communautés indigènes étaient des enfants mineurs. L’Equateur et la Bolivie ont plusieurs choses en commun : premièrement, les mouvements sociaux sont puissants ; deuxièmement, les gouvernements se déclarent eux-mêmes révolutionnaires ; et enfin dans les deux pays il y a une confrontation féroce entre les politiques de modernisation gouvernementales et les mouvements sociaux qui sont criminalisés et persécutés.

Mais un fait intéressant est que les classes dominantes en Bolivie aussi bien qu’en Equateur changent rapidement. La bourgeoisie financière à Guayaquil (dans le sud) s’est effondrée et aujourd’hui c’est le secteur financier à Quito (altiplano du nord) qui est dominant. Parallèlement, de nouvelles analyses provenant de Bolivie parlent d’une nouvelle bourgeoisie dans laquelle les dirigeants indigènes Aymara et Quechua jouent un rôle important. Cette contradiction est évidente dans le conflit de Tipnis, quand une énorme mobilisation indigène a arrêté un projet d’autoroute dans les terres ancestrales. A Tipnis, le conflit est entre les producteurs de coca qui font maintenant partie des instances dirigeantes et les indigènes [qui ont été précédemment leurs alliés pour amener Evo Morales au pouvoir]. Nous observons un processus similaire dans plusieurs pays.

MU: Alors, à quoi ressemble le pouvoir maintenant?

Fondamentalement, ce que nous avons est d’un côté la vieille classe possédante, et de l’autre côté la classe « gestionnaire » (« gestores »). Des gens qui ne possèdent pas les banque mais qui les gèrent, des gens qui contrôlent les fonds de pension, le capital qui est la matière première pour la spéculation financière. Ces gestionnaires sont maintenant les acteurs essentiels, ils sont bien payés et ils font partie de la classe dirigeante même s’ils ne possèdent pas les moyens de production industrielle. Ils dominent le circuit économico-financier qui reproduit le capital. Nous voyons des contradictions dans ces pays entre les possédants et les gestionnaires qui sont alliés mais pas toujours. Il est intéressant de constater que la classe dominante est devenue plus complexe et qu’il y a des conflits. Des parties de la classe dirigeante s’appuient sur les secteurs populaires et d’autres parties s’appuient sur d’autres secteurs sociaux, au service de leur propres intérêts, et il y a des points d’union et de conflit entre et parmi elles. Nous observons une restructuration et un repositionnement des classes dirigeantes et nous l’observons très clairement en Bolivie et en Equateur.

2- BOLIVIE

Bolivie est le pays où les mouvements sociaux sont les plus forts, où ils ont obtenu le plus et où ils ont interféré le plus avec les systèmes dominants. Ils ont le grand avantage d’être très divers. Il y a les Aymaras des hauts plateaux et les peuples des basses terres. Dans beaucoup de cas les exploiteurs sont les multinationales, mais dans d’autres cas les menaces viennent des secteurs économiques Aymara ou Quechua. Cela crée une situation très complexe dans laquelle les basses terres sont actuellement en bas de l’échelle du pouvoir. 

Nous observons une reconfiguration intéressante de la classe dirigeante qui n’est plus la bourgeoisie qui parle « gringo » mais un autre groupe qui porte un poncho et qui parle Aymara ou Quechua, comme par exemple le vice-président Alvaro Garcia Linera. Il est le théoricien des nouvelles pratiques des instances dirigeantes, la charnière entre l’occident et les indigènes pourrait-on dire. La Bolivie est le laboratoire idéal pour ce processus : quand un mouvement indigène lutte pour le pouvoir, le gouvernement essaie de créer une instance de pouvoir parallèle.  C’est un processus de clonage qui génère de la confusion en cooptant les dirigeants et en créant des divisions brutales dans le but de brouiller les cartes. Cela ralentit les choses, laissant à l’élite le temps de se repositionner tout en continuant de promouvoir ses projets. Ces pratiques de domination sont beaucoup plus raffinées qu’avant. 

MU: Quest devenu le concept dedispersion du pouvoirdont vous parlez dans votre livre sur la Bolivie?

Ennemi de l’État : Carlos Zorrilla et la bataille pour Intag

Date de publication: 
Lundi, 27 Janvier, 2014
Par: 
Par Gerard Coffey, Linea de fuego, 6 janvier 2014, traduction pour www.aldeah.org

« Un étranger qui empêche le développement de notre pays », c’est ainsi que Carlos Zorrilla, membre fondateur de  la DECOIN (Défense et protection écologique d'Intag, association connue pour son opposition aux projets d’exploitation de cuivre dans la vallée d’Intag), a été désigné par le président de l’Equateur en personne. Le 28 septembre dernier, lors de son émission télévisée hebdomadaire « Enlace Ciudadano », Rafael Correa a présenté à la Nation des photos de militants d'Intag, dont celle de Carlos Zorrilla, en les accusant de mener des activités « déstabilisatrices » et de faire de l’ingérence dans la politique nationale. A l'occasion d'un autre discours télévisé, le 7 décembre, le président Correa a une nouvelle fois nommément accusé Carlos Zorrilla, né à Cuba, de défendre des intérêts étrangers et a appelé la population équatorienne à "réagir". Aux côtés de nombreuses autres associations et collectifs, vigilants et solidaires avec la lutte d’Intag, nous souhaitons exprimer notre plus vive préoccupation devant cette attitude non seulement xénophobe mais qui, venant d’un chef de l’Etat, met directement en danger la sécurité des militants écologistes de la région. Afin de faire connaître qui est réellement Carlos Zorrilla, nous publions ci-après la traduction de l’article paru à son sujet dans Linea de Fuego.  Le Collectif ALDEAH.

Né à Cuba, il a quitté l’île lorsqu’il avait 11 ans, prenant la route des États-Unis avec sa famille. La terre promise ne l’a pas convaincu. Comme beaucoup de personnes de sa génération, il n’a pas accepté la guerre que son pays d’adoption menait au Viêtnam, et les manœuvres politiques du président d’alors, Richard Nixon, ne lui convenaient pas non plus. Il s’en est allé. Il cherchait un endroit où vivre en paix. En 1978, dans la vallée d’Intag (Imbabura), il a trouvé une zone agricole attrayante, habitée par des communautés fortes et solidaires. Et il est resté là-bas. « J’adore l’agriculture », confesse Carlos Zorrilla.  Sa décision n’est pas difficile à comprendre. La zone d’Intag, située sur les contreforts occidentaux du volcan Cotocachi, est chaude, verte et franchement belle. Peuplée à la fin du XIXe siècle par des familles ayant migré depuis d’autres secteurs d’Imbabura, ce district subtropical, principalement agricole, est riche en eau, en biodiversité et en paysages spectaculaires.

Mais l’histoire de Zorrilla en Intag n’est pas celle d’un bonheur bucolique, d’une promenade dans les nuages. La paix et la vie collective ne se donnent pas facilement. Il y a du cuivre dans les collines et, à double deux reprise durant ces dernières décennies, des entreprises étrangères ont cherché à exploiter ce minerai. « La première fois nous avons appris la présence d’une entreprise minière dans la zone à la fin de l’année 1994, dit Carlos, c’était la japonaise Bishimetals, une filiale de la multinationale Mitsubishi. Au début, les gens ne savaient pas pourquoi elle était là ».  

L’année suivante, les activités de l’entreprise minière les ont amenés, lui et Giovanni Paz, un prêtre d’Imbabura, ainsi que d’autres, à créer l’association DECOIN (Défense et Conservation Ecologique d’Intag), pour protéger la biodiversité de la région et développer des projets soutenables. « Nous savions que ces projets étaient importants pour l’avenir », témoigne Silvia Quilumbango, l’actuelle Présidente de DECOIN.

« Plus d’extractivisme pour sortir de l’extractivisme» : le pari risqué de Correa

Mine à ciel ouvertMine à ciel ouvertL’annonce de l’abandon de l’initiative Yasuní-ITT [1] par le président Rafael Correa a suscité l’émoi des mouvements écologistes et a attiré l’attention des médias internationaux sur ses politiques dans le domaine des industries extractives¹. Mais qu’en est-il de l’action du gouvernement dans ce secteur? Dans quelle mesure est-elle compatible avec son projet politique ouvertement socialiste et avec les principes pionniers mis en avant dans la Constitution de 2008?

Extension de la frontière extractive

À  l’instar  de  nombreux  autres  pays  d’Amérique Latine, l’Équateur s’est lancé, depuis l’élection de Rafael Correa, dans une ré-primarisation de son économie, incarnée par une extension marquée de la frontière extractive dans les secteurs minier et pétrolier. Mis à part le poids croissant du pétrole dans l’économie et l’ouverture symbolique du parc Yasuní à l’exploitation, le gouvernement a lancé en 2012 une vaste campagne de titularisation de nouveaux permis d’exploration pétrolière, lesquels couvrent près d’un quart de  l’Amazonie équatorienne  (environ  3  millions  d’hectares).

L’Équateur  a  également  parié  sur  l’exploitation minière  industrielle.  Cinq  nouveaux  projets  à grande échelle ont été classés comme « stratégiques » : les projets cuprifères à ciel ouvert de Mirador et Panantza-San Carlos, et aurifères de Río Blanco, Fruta del Norte et Loma Larga. Une quinzaine d’autres projets, moins avancés, sont également en cours. Malgré une réduction substantielle du nombre de permis miniers par rapport à la période néolibérale, près de 5% de la superficie du pays reste dédiée à l’exploration minière.

Conférence du Professeur Rafael Correa à la Sorbonne : faire prendre des vessies pour des lanternes

Date de publication: 
Lundi, 11 Novembre, 2013
Par: 
Gérald LEBRUN

Conférence du Professeur Rafael Correa à la Sorbonne.
Ou, comme le grand illusionniste Rafael essaye de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

La conférence a eu lieu le 6 Novembre 2013 au vénérable grand amphithéâtre de la Sorbonne.
Nous sommes arrivés à 16h30, et il avait déjà la queue, nous avons attendu environ 30 minutes avant que finalement on nous ouvre les portes.  Heureusement, malgré les nuages ​​menaçants, on a pu éviter la douche.
En arrivant à la porte, contrôle d'identité, contrôle des papiers et, bien sûr, l’indispensable invitation. On a dû également laisser au vestiaire nos sacs et autres serviettes...
Nous sommes enfin dans l’amphithéâtre, déjà 17h15, il faut attendre le début de la conférence prévue à 18H. Enfin assis, nous avons pu assister au ballet des agents, techniciens et cameramen.
Pendant que nous attendions, les organisateurs ont passé un documentaire touristique sur l'Equateur avec les images des merveilles que ce pays a encore, y compris les images de Yasuni. Ma voisine m'a demandé, c'est l’Equateur?  Oui madame, Quel joli pays, Oui madame et si vous voulez le connaître, il faut y aller maintenant, parce que dans 10 ans, cela ne sera plus la même chose.

Le public

Le vrai coût des politiques sociales de Rafael Correa

Date de publication: 
Lundi, 4 Novembre, 2013
Par: 
ALDEAH

"Les principaux ennemis de notre projet sont les gauchistes infantiles et les écologistes romantiques”.
(Rafael Correa) [1]

Faire passer les vessies pour des lanternes est un exercice bien connu des politiques. Incontestablement, nombre de dirigeants progressistes d’Amérique latine excellent dans ce domaine lorsqu’il s’agit d’impressionner l’opinion occidentale amie. Se présenter à ses yeux comme humanistes, anticapitalistes, anti-impérialistes et écologistes ne les empêche aucunement, sur le plan intérieur, de conduire des politiques autoritaires en se prêtant au jeu des intérêts du capital international dans le total mépris de l’autonomie des populations et du respect des écosystèmes.

L'emphase révolutionnaire, surtout lorsqu’elle accroche au drapeau rouge un fanon vert, a du crédit auprès de la gauche alternative occidentale. A la recherche d’un contre-modèle, celle-ci est parfois prête à fermer les yeux sur certains « détails ». Nous espérons que cela ne sera pas le cas lors de la prochaine venue à Paris de Rafael Correa, invité à donner plusieurs conférences (notamment le 6 novembre à la Sorbonne). En prévision de cette rencontre, nous, militants impliqués dans des luttes socio-environnementales en France et solidaires avec celles d’ailleurs, souhaitons apporter quelques éclaircissements au sujet du prétendu écologisme de la « révolution citoyenne » [2] en Equateur.

Yasuní-ITT est mort, vive l’extractivisme !

Le monde a certainement perdu une belle utopie avec l’abandon de l’initiative Yasuní-ITT. Cette dernière, initiée par les mouvements écologistes équatoriens et reprise par le gouvernement de Correa dès 2007, engageait l’Etat à laisser sous terre une partie du pétrole du parc national Yasuní en contrepartie d’une contribution de la communauté internationale. Le 15 août dernier, le montant minimum (3, 6 milliards de dollars) n’ayant pas été réuni, Correa jetait le projet aux oubliettes. Le pétrole sera donc exploité dans cette région à la biodiversité unique, territoire de nombreux peuples indigènes, dont certains en « isolement volontaire ». On peut sans doute blâmer ladite communauté internationale pour son manque d’implication (comme l'a fait Correa pour justifier son geste), mais force est de constater que l’avenir de l’initiative a toujours été incertain et que le « plan B » (l’exploitation) n’a jamais été exclu [3].

Blocs pétroliers en Amazonie équatorienneBlocs pétroliers en Amazonie équatorienneCe projet, qui jusque-là avait servi de faire-valoir commode vis-à-vis des écologistes (« infantiles », selon les mots de Correa) comportait déjà une sérieuse limitation. Il divisait le territoire amazonien en deux : d’un côté, un fragile sanctuaire, de l’autre, les zones de sacrifice. De nombreux territoires, dont ceux des Kichwa de Sarayakú, étaient menacés ou déjà concernés par l’exploitation pétrolière.

Yasuní-ITT : un projet impossible pour l'extractiviste Correa

Date de publication: 
Jeudi, 5 Septembre, 2013
Par: 
William Sacher, universitaire, actuellement doctorant en économie du développement de Flacso-Ecuador, Quito.

Article paru également dans FAL Magazine, automne 2013.

L'initiative Yasuní-ITT est « le projet phare de la révolution citoyenne ». Ainsi s'exprimait en 2010 le président de l'Équateur Rafael Correa, suscitant de sérieux espoirs d'un avenir post-extractiviste au sein du mouvement écologiste global. C'est dire si l'annonce par Correa de l'abandon de l'initiative, le 15 août dernier, a pour le moins été vécue comme un coup de massue par de nombreux réseaux écologistes d'occident et d'ailleurs.

L'examen des politiques menées par Correa au cours des dernières années montrent cependant que ce nouvel écueil de la « gauche » latinoaméricaine était largement prévisible.

Une initiative pionnière

Proposition totalement inédite et ayant reçu un grand soutien populaire, l'initiative Yasuní-ITT consistait pour l'Équateur à se refuser à exploiter une partie de ses réserves prouvées de pétrole en Amazonie (situées dans le parc national de Yasuní) en échange de dons qui seraient venus de l'étranger. L'objectif officiel était de préserver cette partie de l'Amazonie, hébergeant une biodiversité unique sur la planète et le milieu de vie de nombreuses communautés autochtones, certaines étant en « isolement volontaire » (bien que Correa et son gouvernement ont, d'une manière plus réductrice, souvent mis en avant l'intérêt du projet pour la seule lutte contre les changements climatiques).

Equateur : "Yasuni ITT ou l'échec de la non-exploitation du pétrole"

L'Equateur est le plus petit pays membre de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ; environ un cinquième de ses ressources supposées reposent dans le sous-sol du parc Yasuni reconnu pour sa grande richesse en matière de biodiversité. Entre la sauvegarde de ce petit bout d'Amazonie et l'exploitation des énergies fossiles, le président équatorien, Rafael Correa, a tranché en faveur de la seconde.

Les champs pétroliers d'Ishpingo, de Tambococha et de Tiputini – dits "ITT" – et leurs quelque 900 millions de barils de pétrole seront donc exploités, a annoncé, jeudi 15 août lors d'une allocution solennelle, le président Correa, avec une"profonde tristesse".

 Réélu en février, Rafael Correa avait promis d'approfondir sa "révolution citoyenne" où doivent se mêler transformation sociale du pays et respect de l'environnement. M. Correa a reconnu avoir pris"une des décisions les plus difficiles de tout [son] gouvernement" en favorisant le pétrole aux dépens de cette réserve de biosphèreclassée par l'Unesco (PDF), où vivent 696 variétés d'oiseaux, 2 274 d'arbres, 382 de poissons, 169 de mammifères ou encore 121 de reptiles, ainsi que des dizaines de milliers d'espèces d'insectes.

Eau et Extractivisme au FAME: du Nord au Sud, un modèle, des luttes

Le Forum Alternatif Mondial de l'Eau (FAME) ouvrira ses portes à Marseille du 14 au 17 mars. "Eau et extractivisme" est l'un des axes thématiques des ateliers et débats du forum : http://www.fame2012.org/files/eauext.pdf 

Mines, puits de pétrole et de gaz, plantations ou élevages industriels, barrages hydroélectriques géants…,- tous les jours, de nouveaux territoires sont transformés en zones de sacrifice destinées à fournir matières premières et énergie. L’exploitation à grande échelle de la nature et de ses « ressources » s’accélère de façon exponentielle dans les pays du « Sud », enfermés dans ce « rôle » depuis l’époque des colonies. Bouleversements sociaux et transformations culturelles inévitables, altérations souvent irréversibles des écosystèmes, pollutions aux effets dévastateurs pour la santé, - les impacts des industries extractives sont connus et dénoncés. Au Nord aussi, la prédation avance : la récente avalanche de projets d’exploitation d’hydrocarbures dans les pays occidentaux montre bien que, même si les contextes diffèrent, aucun territoire n’est définitivement épargné. Partout, au Sud, comme au Nord, éclatent des conflits entre populations victimes ou menacées, entreprises et pouvoirs publics. Dans de nombreux endroits de la planète, s’organisent des résistances, se structurent des mobilisations et naissent des mouvements populaires qui s’opposent aux « mégaprojets » d’exploitation de la nature.

« L’eau vaut plus que l’or », - proclament les graffitis sur les murs des villes et villages d’Argentine, du Pérou, de Colombie… et d’ailleurs, « Boire ou conduire, il faut choisir », - scandent les militants anti-gaz de schiste français. L’eau, qui « n’a pas de prix », est, presque toujours, au centre de ces combats. Continuellement, l’accès à l’eau, sa disponibilité ou sa qualité se voient directement menacés. Chaque industrie a son « livre noir». Les mines à ciel ouvert polluent les cours d’eau et les aquifères (produits toxiques et métaux lourds provenant de drainages acides), dégradent les zones de recharge hydrique, détériorent les glaciers et le permafrost. Dans des régions déjà victimes de stress hydrique, des millions de litres d’eau sont utilisés quotidiennement pour les activités minières au détriment des besoins des populations. L’extraction d’hydrocarbures de schiste requiert aussi d’énormes quantités d’eau. Chaque opération de fracturation hydraulique consiste à injecter dans le sous-sol entre 10 et 20 millions de litres d’eau, mélangée à du sable et des adjuvants chimiques, dont une partie seulement remonte à la surface et dont le retraitement pose de sérieuses questions. L’exploitation pétrolière a un lourd passif : pollutions de l’eau douce et de l’eau de mer, accidentelles (marées noires) ou systématiques (delta du Niger, Amazonie équatorienne ou péruvienne…) qui provoquent de véritables tragédies environnementales, sanitaires et humaines. Les grands barrages hydroélectriques sont à l’origine de la disparition des poissons de nombreux fleuves, ce qui équivaut à la destruction des économies locales basées sur la pêche. La liste est longue… 

Le terme « extractivisme » nous vient de l’Amérique hispanophone*.

La certification des élevages de crevettes met en péril les mangroves

La certification est devenue un outil pervers dans les mains des grandes entreprises : elles l’utilisent comme un « label vert » pour imposer des systèmes de production intrinsèquement nuisibles, qui deviennent une menace pour des écosystèmes de grande valeur. C’est ce qui arrive à présent aux mangroves, des écosystèmes à forte diversité biologique.

Plusieurs ONG qui travaillent avec les populations locales des pays producteurs de crevettes et avec les consommateurs des pays importateurs de crevettes ont sonné l’alarme au sujet du dénommé WWF-ShAD (Dialogue sur l’aquaculture de la crevette, d’après l’anglais), dont les critères et le processus lui-même seraient criblés de défauts.

Ayant participé à un de ces « dialogues », ces ONG ont pu vérifier par elles-mêmes que le panorama est encore pire : le produit final prédéterminé – les critères pour la certification des crevettes d’élevage – sera obtenu en se passant de toute participation équitable des parties prenantes ou des usagers des ressources. En revanche, la plupart des présents à ces « dialogues » sont des représentants de l’industrie crevettière et des usagers des ressources locales. Depuis que le processus a démarré il y a trois ans, la grande majorité de ceux qui sont touchés par l’élevage de crevettes brillait par son absence. Ce manque de contribution de la population locale au « dialogue » rend fortement discutable l’intention de certifier cette activité, et contredit surtout les déclarations du WWF, qui dit que les critères en question répondent aux vœux des communautés locales.